Une petite île au large de la Péninsule acadienne. Un tout petit village. Des habitants qui vivent de petits événements. Le calme. Rien pour faire les manchettes du journal provincial.
Lumina Duguay a un rêve : devenir une pianiste de concert. La sœur qui lui a enseigné les bases l’a encouragée, mais l’élève a dépassé la maîtresse. Pour Charles Duguay, propriétaire du magasin général de Cap-Saint-Pierre, la petite ville qui fait face à l’île, le piano, ce n’est pas un métier : il souhaite que sa fille épouse le fils du médecin, futur médecin lui-même, et qu’elle se concentre sur son rôle de femme. Alors, il se débarrasse du piano qui la distrait trop.
Elphège Arsenault, qui vit sur l’île des Potabrés, est un pêcheur et un homme à tout faire : il n’a d’autre ambition que de fonder une famille avec la belle Lumina. Encore faut-il qu’elle le veuille et qu’il convainque le père, ce qui apparaît impossible.
Et pourtant… Elphège achètera un piano et gagnera ainsi l’accord de Lumina, qui ira jusqu’à sous-entendre à son père qu’elle a commis l’irréparable, arrachant ainsi son consentement. Ils auront deux garçons. Mais la vie dans l’île ne permettra pas à Lumina de réaliser son rêve. Au mieux, elle deviendra l’organiste du village et continuera à charmer ses habitants de ses concerts familiaux. Jusqu’au jour où elle rencontrera Marc Bilodeau, folkloriste de Québec venu enregistrer les chants et les contes des villageois. Il sera impressionné par son talent et les deux engageront une correspondance d’abord musicale, puis…
Des vies soumises aux aléas de la vie sans grande prise sur l’espoir. Ou on se satisfait de ce qu’on a comme Elphège ou on tente de s’en sortir comme Lumina. Mais celle-ci n’a pas la formation qui lui permet de se réaliser dans la musique comme elle aurait pu le faire si elle était née dans un autre milieu. Elle l’apprend durement et en reste blessée, même si, d’une certaine façon, elle dépasse le cadre rigide dans lequel la société l’a enfermée par son rôle traditionnel de femme.
Les Potabrés n’est pas un roman psychologique, mais une délicate chronique de la vie rurale en cette première moitié du XXe siècle. On accompagne les personnages dans la quasi-insignifiance de la vie contre laquelle se débat Lumina. Jules Boudreau tisse le portrait de cette société d’une façon à la fois détachée – objective pourrait-on dire – et amoureuse. Car il les aime, ses personnages. Certains étaient déjà présents dans les deux tomes de nouvelles des Chroniques d’une île de la côte (1999 et 2012), qui couvrent la même période. Quant aux potabrés, ce sont les trous créés à la suite de la cueillette des coques (myes) qu’on ramasse à marée basse dans le sable, dans lesquels « le pied cale pis on reste pris dedans ».