Être francophone en Ontario a toujours été une situation pénible, humiliante et propice aux discriminations, au quotidien. Quelques défenseurs se sont levés contre cette oppression ; mais leurs noms ont été négligés dans beaucoup de livres d’histoire du Canada.
S’il existe plusieurs ouvrages consacrés à l’histoire des Canadiens français de l’Ontario – comme on le disait autrefois –, aucun n’avait encore fait la rencontre individuelle de ses principaux porte-paroles. Déjà auteur de trois études rigoureuses axées sur la francophonie canadienne, dont l’excellent Deux poids deux langues. Brève histoire de la dualité linguistique au Canada (Septentrion, 2019), Serge Dupuis distingue son approche de celle de ses prédécesseurs comme Yves Frenette, Chad Gaffield et Paul-François Sylvestre en introduisant le concept de « champs relationnels de l’Ontario français », et se base sur ses longs entretiens avec d’anciens représentants de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO et autres acronymes), qui a célébré ses 110 ans en 2020. L’histoire de l’Ontario français pourrait se résumer à une suite d’attaques antifrancophones et de politiques discriminatoires émanant de trois instances : des groupes de pression plus ou moins organisés (comme les orangistes), du gouvernement provincial ontarien (et particulièrement le Parti conservateur) et d’une partie de la société civile de langue anglaise.
En plus de citer moult déclarations provenant des penseurs de la cause franco-ontarienne, Serge Dupuis mentionne une multitude d’écrits révélateurs et méconnus, dont cet article emblématique (1963) par Aimé Arvisais cité par Dupuis, qui résumait en seulement trois phrases toute la problématique de la minorité de langue française depuis deux siècles : « Nous sommes fatigués d’être des citoyens de deuxième classe et nous voulons être parfaitement chez nous d’un bout à l’autre du Canada. Ce que la minorité franco-ontarienne veut à tout point de vue, c’est de recevoir au moins un traitement identique à celui que reçoit la minorité anglaise du Québec […]. Si l’élément anglais du Québec était traité avec la même discrimination dont souffre l’élément français en Ontario et ailleurs au Canada, il s’ensuivrait une clameur générale non seulement dans tout le Canada mais dans le monde entier envers une pareille injustice ».
Il y a plus d’un siècle, en 1915, un autre porte-parole franco-ontarien, Philippe Landry que cite également Dupuis, considérait le traitement de la minorité franco-ontarienne comme une forme de racisme, alors que le concept de nation était confondu avec celui de « race » : « Prise entre deux feux, combattue par les Orangistes, trahie par les Irlandais-Catholiques […], la race Canadienne-française, qui ne veut pas mourir, s’adresse au plus haut tribunal de l’Empire Britannique pour en obtenir cette justice que les coloniaux lui refusent par fanatisme et par esprit de race ».
Si la minorisation des francophones persiste et s’aggrave en Ontario, celle-ci s’inscrit dans un processus d’anglicisation, reconfirmé par la diminution de leur poids démographique et les statistiques du mathématicien Charles Castonguay (Le français en chute libre, L’aut’journal). Cet ouvrage instructif mais parfois enrageant aurait très bien pu s’intituler « Histoire d’une résistance en Ontario » ou « Histoire de la lente disparition du français en Ontario ».