Le titre est audacieux : en vertu de quelle pentecôte un critique peut-il affirmer que son regard a retenu, à même la masse colossale des textes engendrés par les Lumières, la plus substantifique moelle et les plus admirables élans ? Admettons que le choix effectué fait honneur à son auteure et négligeons les superlatifs.
L’avant-propos, juste et moderne, a tôt fait de compenser. « Les hommes des Lumières vivent indignés. » Le la est donné ; Stéphane Hessel aura eu des devanciers. Tout ce qui relève de la foi ou de la paresse, que ce soit face à Dieu ou à la monarchie, que ce soit face aux superstitions ou à la résistance des ornières, provoque la colère ou l’ironie des propagateurs des Lumières. Qu’ils appartiennent au monde de la musique, comme Mozart, à celui des sciences de la nature, comme Buffon, ou à celui des mathématiques, comme Condorcet, ces indignés se rebellent un à un avant de se souder les uns aux autres en un immense chantier. Les pages choisies élèvent une protestation d’autant plus décapante qu’elles sont pertinentes, intelligentes, magistralement écrites.
Tout en admettant qu’il écrivit assez peu de pages de l’Encyclopédie, l’auteure du tri fait la part généreuse à Voltaire. On la comprend car, plus que la plupart, il est homme d’humour, d’humour aussi belliqueux que corrosif ; l’efficacité lui obéit comme un caniche. Sans surprise, Buffon, Montesquieu, Diderot, d’Alembert suivent de près et donnent une polyvalence barbelée à leur commune indignation. La sottise veule, la candeur paresseuse, le radotage complaisant, autant de cibles visées et réduites à la gêne et à la honte. Jean-Jacques Rousseau n’attire pourtant pas l’unanimité sur ses thèses. Aux mérites qu’on lui reconnaît s’opposent les réticences de plusieurs, dont Voltaire. Il semble bien que les plumes qu’indigne la crédulité répugnent à priver la lucidité de ses meilleurs atouts : or, imputer tout le bien à la spontanéité du bon sauvage et tout le mal aux efforts de la société leur paraît contradictoire et suicidaire. « Si le bon sauvage va spontanément vers la lucidité, qu’a-t-il besoin des Lumières ? » laisse-t-on entendre. Simple hypothèse.
Quelques figures méritantes, mais moins familières, reçoivent enfin leur dû. Texte contondant de Jean Meslier, délectable ironie de la marquise du Châtelet, argumentation serrée d’Olympe de Gouges, satire acérée de Bernard de Mandeville, autant de contributions que Catherine Bouttier a le mérite d’avoir mises en exergue.
Les plus belles pages ? Je ne sais. De fort belles en tout cas.
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