Les passagers anglais est ce qu’on appelle un roman de genre, le genre étant ici le récit d’aventures du XIXe siècle. Ses codes sont respectés : péripéties nombreuses, personnages hauts en couleur et bien définis, décors exotiques, narration qui nous propulse en avant sans s’embarrasser de psychologie.
Si Mathew Kneale s’est retrouvé parmi les finalistes du Booker Prize – l’équivalent anglais du Goncourt ‘ il y a deux ans, c’est parce qu’il a su transcender les limites du genre. Les passagers anglais peut certes se lire au premier degré, comme un récit d’aventures, mais il a beaucoup plus à offrir. À la manière de ces polars – autres romans de genre – qui prennent prétexte d’une enquête policière pour faire le portrait de notre société, il nous donne à réfléchir sur certains fondements du monde moderne : la religion, les classes sociales, le racisme et la colonisation.
Schématiquement résumée, l’histoire est celle, en 1857, d’une improbable expédition britannique vers la Tasmanie, au sud de l’Australie, à laquelle participe un clergyman un peu halluciné, le révérend Wilson, qui entend prouver l’existence en ce lieu du jardin d’Eden. Le bateau qui rend possible l’expédition appartient à un groupe de contrebandiers de l’île anglo-normande de Man, qui se considèrent tout sauf anglais. Passagers et marins se méprisent mutuellement, et le Sincérité (c’est le nom du navire) nous apparaît comme une sorte de microcosme de la société britannique de l’époque.
Le révérend Wilson ignore que son paradis perdu est un paradis en train d’être perdu pour ceux qui en étaient les premiers habitants. En parallèle au récit de l’expédition, Mathew Kneale entreprend celui de la lutte des aborigènes pour échapper au génocide. Deux personnages se détachent ici : Peevay, fruit du viol de sa mère par un Blanc, et la mère elle-même, Walyeric, devenue une guerrière dévorée par son désir de vengeance.
Les deux récits finiront par se rejoindre, puis se séparer. Mais l’histoire n’est pas terminée, comme on sait : en Australie, les aborigènes luttent toujours pour leurs droits.