Il n’est jamais facile de s’entendre décrire par autrui, de laisser le regard de l’autre choisir ce qui l’agace ou lui plaît en nous. Peut-être est-ce pour ce motif que le roman autobiographique de François Canniccioni, qui séduit et émeut tant qu’il raconte la Corse avec ses légendes et ses rudesses, étonne et fait grincer des dents dès qu’il fait vivre ses migrants en terre québécoise. Comme une authentique chaleur humaine caractérise tout ce qu’écrit François Canniccioni, c’est sans doute de notre susceptibilité plus que des piques de l’auteur qu’il faudra se méfier.
Tout comme dans La juive (Septentrion, 2002) Canniccioni raconte Canniccioni. Les noms donnés aux personnages ne trompent ni ne veulent tromper : c’est sa vie et celle de ses intimes qu’offre l’écrivain à l’affection des lecteurs. Le plaisir est rompu, cependant, quand l’auteur ne semble plus savoir à quel auditoire il fait cette proposition. Un public étranger trouvera drôle, folklorique ou invraisemblable le quotidien vécu en plein hiver québécois par un couple aussi mal préparé que possible. Un public québécois se demandera plutôt si on se paie sa tête et s’il est encore possible qu’un couple improvise son séjour en froidure québécoise comme si tout devait y ressembler à l’île de Beauté ou à la côte de la Nouvelle-Angleterre. On s’étonnera également qu’un couple d’arrivants devienne comme par magie spécialiste du meuble québécois et contredise en mille domaines les prudences lentement mises au point par les premiers arrivés.
Tirons-en quand même comme conclusion que les migrants ont bien le droit d’utiliser dans leurs efforts d’insertion tout ce que leur passé leur a donné, que cela soit adapté ou pas. Le courage et l’inventivité de celui qui se reconstruit une vie importent plus que ses étonnements parfois grinçants.