Au risque d’occulter un instant l’ampleur des mythes que sollicite l’auteure, c’est l’écriture qu’il faut d’abord vanter. Même si elle puise à différents genres littéraires, depuis la conversation jusqu’à la poésie en passant par l’onirisme, Marie-Geneviève Cadieux invente constamment de nouvelles élégances. Son personnage apprécie en Jean « des adorations aux arrière-goûts de sucre et d’utopie ». Il arrive, si elle note une sensation que, « aux trois quarts de la page, l’une des lignes cesse sa traversée du blanc ». Culte et génie de la formule ? Il y a bien davantage, mais le souci du mot, de l’image, du seing définitif est si constant qu’il dispute souvent l’attention au propos lui-même.
Il faut dire que le propos est protéiforme, toujours en mutation vers autre que lui. Il est inceste, mais tout à coup hypnotisé par le sang. Il s’immerge dans la mort jusqu’à fouailler les corps qui, parfois, n’ont même pas eu le temps d’aimer et qui aboutissent avec leur virginité sur la table et sous les phantasmes des thanatologues, puis il s’interrompt et réclame de nouveau l’agression et la caresse du regard dominateur.
S’il y a excès, c’est justement dans la surabondance. Comme bien des premiers livres, celui-ci a voulu tout dire. L’inceste, la mort, la cruauté, le voyeurisme, les rapports de force… La tâche était déjà immense de recevoir, subir, savourer et surmonter l’inceste, de le faire retraiter sans lui arracher sa proie. Y ajouter tout le reste, c’était beaucoup, surtout quand les développements subissent syncopes après virages. Peut-être n’est-ce pas un hasard si deux des neuf chapitres portent le même titre : « Autopsies ». Il n’est pas de sentiment, en effet, pas de cruauté ni d’obsession qui ne reçoive son coup de bistouri. L’écriture, sans relâche, traque la mort et la vie sans toujours les distinguer, elle multiplie les moulages des âmes pendant que certains des personnages relèvent les empreintes des visages et des sexes. Bellement mais excessivement ambitieux.