L’originalité est au poste, mais peut-être aussi la présomption. La narration passe d’une voix à l’autre, ce qui n’est jamais interdit, mais qui brouille souvent les perceptions. Surtout si le je et le il se passent le témoin sans préavis. Quand, de surcroît, l’auteure abolit la frontière entre le quotidien et le cauchemar, comment porter jugement sur la sincérité du nouveau veuf et le réalisme du rêveur ? Complication supplémentaire, les stéréotypes sociaux et familiaux sont ici bousculés, au point que le père assume en totalité les tâches domestiques et l’éducation de l’enfant et se fait une gloire de céder d’avance à l’épouse l’ensemble des acquêts. Avec le résultat qu’il devient aléatoire de déterminer qui avait entrepris de hacher des légumes en prévision du repas. Dès lors, bien malin qui parviendra, au sortir d’une lecture déroutante, à formuler contre une cible précise l’accusation de meurtre. Dérouter est un mérite que revendiquent tous les polars, le faire grâce au manque d’ordre est peu glorieux.
D’ailleurs, la conclusion de l’enquête ne doit pas grand-chose à la logique. Les accablantes révélations qu’invoque subitement l’enquêteur sortent d’on ne sait où et les pistes dont elles révèlent soudain l’inutilité mériteraient un meilleur sort. On se demande, d’autre part, si le harcèlement sexuel, droit de cuissage compris, échappe à la réprobation autant que l’auteure l’affirme. « Les filles sont majeures, vous savez, et consentantes. Aucune ne s’est plainte jusqu’à présent, et je ne crois pas que ce soit défendu par la loi. » Si de tels machos existent toujours, la plupart ne doivent tout de même pas s’exprimer avec une telle verdeur devant un policier. On se demande au passage comment interpréter l’affirmation que Crole Savoie « était plus pausée cette fois ». De la vie, de l’originalité, mais ni rigueur ni élégance stylistique.