Le second roman d’Isabelle Forest est un texte inclassable. Récit baroque et ésotérique, il alterne la narration au « je » et au « il » sur fond de fiction historique. Après le Mexique rural de La crevasse (2004), c’est le Paris du XVIIe siècle que la romancière et poète a choisi comme décor. Il ne s’agit pas d’un Paris fabuleux ou épique, mais glauque et macabre, comme dans Le parfum de Patrick Süskind. En ce sens, l’illustration de couverture est bien choisie : La Luna de Joe Sorren. On y voit une fillette au teint hâve, les bras levés vers un ciel nocturne étoilé au cœur d’une épaisse forêt. La suggestion est claire : on entre dans une histoire qui s’impose d’abord en tant qu’atmosphère – moitié onirique, moitié étouffante.
Cette fillette pourrait être Marie Malvaux, l’une des héroïnes du livre. Fille d’une cuisinière de treize ans mariée à un tisserand, elle déambule dans Paris avec son ami Petit Pierre et devient « montreuse de marionnettes ». Un autre héros du livre, Eugène, est apprenti verrier et lecteur féru de Francis Bacon. Il est resté fasciné par la mort et les cimetières depuis sa première visite du charnier des Lingères, au cimetière des Innocents. Outre Marie et Eugène, le lecteur verra défiler une kyrielle de personnages hauts en couleur, d’une vieille bossue à un androgyne aux yeux violets. Il sera question de monstres de foire et de théâtre ambulant ; de sabbat, de gibets et de poupées vaudou ; d’alchimie et de procès pour sorcellerie…
Les laboureurs du ciel est le résultat d’un travail de documentation tout à fait louable. L’écriture y est jolie et imagée. Or, à force de dévier du cours de son intrigue principale, l’auteure nous la fait perdre de vue, si bien qu’on se demande, trop souvent, où elle veut en venir. C’est regrettable, car moins échevelée, l’intrigue de ce livre n’en aurait été que plus ensorcelante.