Méconnu de nos jours, le poète Michel Beaulieu n’en maintient pas moins une influence considérable auprès des poètes québécois, et ce plus de dix-huit ans après sa mort. Paul Bélanger, qui a grandement participé à l’édition posthume des textes du poète, fait partie de ceux qui tentent de prolonger ses innovations formelles et sa sensibilité. Dans la partie initiale du recueil Les jours de l’éclipse, Paul Bélanger nous livre à retardement son épitaphe pour l’auteur de Kaléidoscope, dont la camaraderie, désormais imaginaire, s’est transformée en une blessure mélancolique, porteuse de névrose comme d’une nouvelle potentialité de vision. De fait, l’hommage en partie mimétique rendu dans ces pages se révèle beaucoup plus réussis que Périphéries, recueil précédent de Paul Bélanger. À la façon du regretté, il use abondamment de la continuité syntaxique d’un vers à l’autre, renouant avec ce vertige spatio-temporel si contemporain : « [M]arche seule dans la nuit si près / du vide une forêt de miroirs / me réfléchit sans fin ton souvenir / corps engoncé dans sa gravité / et ses aléas ». L’exercice du deuil littéraire est bien sûr périlleux, d’autant plus qu’il devient monnaie courante chez une génération dont l’auteur résume une question directrice : « [F]aut-il entrer dans la mort pour voir / l’intérieur de la vie ». On est aussi frappé par un certain esprit de sérieux, voire quelques accents de religiosité qui contrastent avec la dérive savante de Michel Beaulieu. Pourtant, par delà ce « prends ma peine, Seigneur » cité en épigraphe d’un poème et l’accumulation un peu forcée des termes « chacun », « mon ami », « frère », on constate que ce travail de délivrance porte la réminiscence d’une modernité s’interdisant une félicité univoque. D’où la luminosité sceptique de certains passages tel : « – qu’est-ce qu’un siècle après tout / sinon l’usage d’un horizon commun / le vide fantôme d’un coucher de soleil / qui consume ses derniers clous ».
Dans la seconde partie, « Aria du jour en allée », on a droit à une forme plus proche du verset, qui produit un contraste intéressant avec le début du livre tout en filant les thèmes de l’absence et de la perte. Puis la troisième partie mélange proses et vers pour raconter une agonie qui se confond avec la condition humaine. Il en ressort un vision passablement janséniste de la vie, ce qui se révèle tout de même plus poétique qu’une naïve dévotion : « Il n’y a aucune joie à naître ou à mourir. Perdu hors de toi j’avance dans mon long tunnel de froid, dans mon sang [ ] Je refuse de me mêler à l’illusion d’exister ». De l’ascèse au défaitisme, la distance est étroite. Le risque est pourtant valable pour qui veut approfondir « la blessure la plus rapprochée du soleil » évoquée jadis par René Char.