Prix Prométhée 2000 de la nouvelle, décerné chaque année par l’Atelier imaginaire à l’auteur d’un recueil inédit de nouvelles d’expression française, Les hommes sont des petits poucets, de Virginie Roussel, fait preuve d’une remarquable unité thématique autant que stylistique. Le recueil compte douze nouvelles écrites sur une période de dix ans. À première vue, en raison justement de cet intervalle temporel, le lecteur pourrait s’attendre à des différences marquées d’une nouvelle à l’autre. Or, il n’en est rien. Il n’y a pas à s’y méprendre, le ton, la voix toute personnelle qui transcendent les propos de chacune des nouvelles nous donnent à lire des textes habités de l’intérieur, taillés sur mesure pour les personnages qu’ils mettent en scène et qui s’imposent dès les premières phrases, reléguant souvent l’action au second plan. Il y a dans cette écriture un mélange d’emphase et de générosité, et le désir manifeste d’aller au bout d’une histoire, de donner au personnage sa pleine mesure. C’est sans doute ce qui a séduit le jury.
L’univers mis ici en scène est noir, bigrement par moments. Univers de marginaux, de laissés pour compte, d’écorchés vifs, le plus souvent de femmes qui rêvaient d’un présent, d’un avenir davantage conformes à l’image qu’elles s’en étaient faite. La désillusion est chaque fois douloureuse. La force de Virginie Roussel réside avant tout dans cette aptitude étonnante qu’elle a de donner vie à ses personnages, de leur donner place et parole sans jamais les condamner, de les laisser vivre. Et cela est d’autant plus paradoxal qu’il y a beaucoup de morts dans ce recueil. Et pas de celles qu’on qualifie de naturelles. Dans une lettre adressée à Guy Rouquet, l’animateur du prix, Virginie Roussel écrit : « Je préfère les dérapages à une terne logique. J’aime me surprendre, j’aime entrer dans la peau d’un personnage, l’habiter en quelque sorte ; je me fonds en lui d’instinct, sans investigations particulières. » La nouvelle y trouve son compte, et le lecteur son plaisir.