Pour sa seconde œuvre individuelle publiée aux éditions La Peuplade, l’artiste multidisciplinaire Daniel Canty s’improvise chasseur de vents. Auprès de Patrick Beaulieu, pilote attitré, il s’engage en 2010 comme « cartographe de bord » pour le projet Ventury, une odyssée transfrontière en poursuite des vents d’Amérique. Résultat : quatre ans plus tard sortent Les États-Unis du vent, carnets de voyage polis, retravaillés, dans lesquels il consigne le quotidien de ses dérives sur la « cheeseburger trail » américaine.
Partis de Philadelphie, les deux aventuriers se laissent porter par la manche à air qui coiffe la Blue Rider, leur Ford Ranger de fortune, et ne répondent qu’à son seul commandement. Or, le vent est un insoumis, il est sans maître, n’obéit à aucune loi et le trajet emprunté en est garant. À travers les champs de seigle du Midwest et la solitude de la campagne, ils découvrent l’immensité du vide continental, tapi dans l’ombre des mégapoles de Cincinnati, Chicago, Cleveland et autres, dont les quartiers industriels désaffectés sont à peu de choses près semblables. De diners en motels, les « non-lieux » de la route révèlent bientôt un sourd constat : la ville américaine est une ville est une ville est une ville…
La disposition des carnets suit cette logique de l’insoumission. Rien ici de linéaire, tout adopte au contraire la stratégie du détour. Les règles de la succession narrative cèdent le pas aux descriptions, magnifiques, et à l’accumulation de digressions carrément didactiques sur le cinéma (Jarmusch, Lucas), la littérature (Hemingway, Bellow), l’histoire. La route parcourue est moins balisée par les rencontres que par la réflexion et l’introspection de l’auteur. La présence de Patrick Beaulieu est d’ailleurs fantomatique et les dialogues, rarissimes.
À n’en pas douter, la plume de Canty est également fille du vent. Sa prose teintée de lyrisme tient son souffle chaud de la brise d’été, dont on se laisse paisiblement bercer. L’atmosphère qu’elle recrée est éthérée, onirique, et accorde un statut poétique à des objets littéraires hautement improbables. De nombreux lieux communs, en général vertement critiqués – grisaille des banlieues, ruines postindustrielles –, acquièrent une dimension renouvelée et il s’en dégage une étrange beauté. Une œuvre bigarrée, composite, à l’image du parcours de son auteur.