L’aide humanitaire n’est pas ce qu’elle paraît ou ce qu’elle devrait être. Et l’un des pionniers du mouvement Médecins sans frontières français, Jean-Christophe Rufin, démontre, avec un réalisme affligeant, que l’altruisme est la forme supérieure de l’égoïsme. À qui a profité et à qui profitera encore et toujours l’aide officiellement destinée aux plus démunis de la planète ? Avant tout, aux Occidentaux donneurs de miettes, à ceux qui se débarrassent de leur encombrante mauvaise conscience en envoyant un sac de riz à des crève-la-faim qui leur coupent l’appétit pendant le grand show télévisé du soir. Auréolent leurs bras armés les figures quasi mythiques du French Doctor, du légendaire sauveur humanitaire, bref du Peter Pan du XXe siècle. Car il faut aider ce pauvre qu’il devient inconvenant et lassant de contempler sur papier glacé.
Apaiser les misères humaines, c’est se donner le beau rôle et il est un peu déroutant de découvrir, derrière les motivations humanitaires de ces nouveaux rédempteurs, des femmes et des hommes avec leurs forces, leurs faiblesses et leurs dilemmes pas toujours avouables. Ainsi en 1985, les habitants d’Asmara, dans le nord de l’Éthiopie, assistaient, ravis et ébaubis, au débarquement spectaculaire d’Européens venus faire le bien faute de mieux. La famine avait poussé sur les routes des milliers de morts en suspens. Les êtres humains tombaient comme des mouches et s’entassaient comme des sacs. La misère, cette infernale machine à tuer, avait été fomentée de toute pièce, avec l’assentiment des plus grands, par le gouvernement éthiopien afin d’émouvoir l’opinion des pays riches, de s’attirer leur manne et de déporter massivement les populations en vue d’un rééquilibrage démographique, donc politique.
Sans compassion, et chichement somme toute, les nations riches se délestaient de nourriture, qu’accompagnaient des équipes médicales, enrichissant au passage les notables locaux, que représente Hilarion Gregorian, ancien marchand d’armes reconverti en narrateur. Ces concessionnaires de la faim ont, certes, sauvé des vies. Mais après ? Les conséquences à long terme sont désastreuses. L’Occident a nourri la guerre faute de réflexion et de raisons de vivre suffisantes.
Il n’y a de causes perdues pour personne, mais à qui profite le crime ?