Le sport acquiert lentement ses lettres de noblesse dans le corpus québécois. Longtemps confiné aux marges des récits, jugé populaire et étranger, il est de plus en plus investi de sens dans le récit contemporain alors que des romanciers tels Marc Robitaille, Georges Desmeules, David Homel utilisent dorénavant les aspects sociaux, discursifs, mémoriels du sport au cœur même des œuvres. Renald Bérubé, rare critique québécois à s’intéresser aux rapports entre littérature et sport, fait paraître, chez Lévesque, nouvel éditeur, un « roman fragmenté » où les mémoires du jeu occupent toute la narration.
Les caprices du sport ne traitent que du banal, d’une réalité subjective sans grands éclats : des souvenirs de hockey, de baseball, d’automne surgissent au détour d’un livre, d’un disque, d’une photo et provoquent un effet d’entraînement qui lance le(s) narrateur(s) à la quête des origines, des images révolues d’une enfance branchée sur le monde par l’appareil radiophonique et ses émissions sportives. L’intérêt de ces évocations du sport, de ces moments épiphaniques de victoires, de défaites (bien sûr plus fréquentes), de ces découvertes de ses propres limites, de ses identifications et de ses fantasmes, tient pour une large part dans les méandres de l’écriture. C’est que le travail narratif dans ce roman est volontairement facétieux, enjoué, ludique, procédant par apartés, rebondissements, détours, ajournements, incises, substitutions de narrateurs afin de différer le récit, de montrer comment la mémoire rejoue le passé, comment s’installe la nostalgie, comment l’origine apparaît partout, pour peu qu’on se laisse guider par les résonances du passé.
Dans ce roman éclaté, collection de ressassements, de redites, de fixations et d’humour fondé sur la dérive et les jeux de mots, la petite histoire régionale est traitée avec sérieux, même si elle se donne à lire dans son caractère commun, usuel. Rien de grandiose n’advient de ces réminiscences de Plusieurs Ouimet ou de François Perreault/Perron : le banal est là, dans ces trames de vie construites autour d’une filiation tranquille, d’une expérience discontinue des échecs et triomphes des Dodgers de Brooklyn, des Canadiens de Montréal, des statistiques et exploits qui comblent l’enfance et montrent la voie pour l’avenir. Mais dans cet engouement du sport, dans cet exercice de la mémoire sportive, malgré quelques redites un peu trop insistantes et liées à l’origine « nouvellistique » des chapitres, Renald Bérubé amalgame toute une préhension du monde, où la littérature, la musique, la psychanalyse, la politique, les questions identitaires passent par la drôle de lorgnette qu’est le sport. Aucun récit des Caprices du sport ne parvient à remonter à son origine, mais chacun d’eux clame ses filiations, indiquant par là, de la plus ludique manière, que le sport est une source d’histoires, d’anecdotes. L’art du souvenir pratiqué ici engage non seulement le merveilleux monde du sport (dixit Jean Dion), mais la manière dont l’humain se construit un fil, un imaginaire, un lieu-refuge, un home, en s’accrochant nostalgiquement aux repères qui unissent les générations et les lieux