Comme les premiers romans en éprouvent souvent le besoin, tant de chemins insistent ici pour se croiser que la destination ultime n’est pas facile à identifier. Je n’oserais pourtant pas interpréter cette surabondance comme l’indice d’une tendance définitive à la dispersion. Si d’autres romans suivent, sans doute seront-ils plus fidèles à un projet mieux ramassé.
Imitant Léa, la mère de Paul, qui ne termine jamais l’histoire des pigeons, le narrateur ouvre des pistes sans les suivre jusqu’au bout. Il évoque plus qu’il ne raconte. On en sait trop peu au sujet de son frère, trop peu au sujet du compagnon de la mère. Il faudra du temps avant de savoir que l’Homme aux épaules de torrent appartient non pas à la police, mais au monde de la psychanalyse. Même son surnom, pour poétique qu’il soit, lui vient d’on ne sait où. On tarde également à nous faire savoir que Cléo, avant de hanter les rêves adultes (?) de Paul, titillait déjà sa puberté.
Autant dire que le roman pêche à la fois par générosité et par ellipse. Beaucoup d’allusions, trop de syncopes. On aurait détesté que l’auteure accumule les détails secondaires et l’on aime qu’elle prête à son public assez d’intuition pour combler les vides, mais peut-être nous a-t-elle surestimés. Un plus petit nombre de lièvres et quelques précisions de plus sur l’un d’entre eux, et le roman aurait quitté le statut d’ébauche dispersée pour suivre une trajectoire stylisée. Je n’ose rien prédire, mais bien des carrières d’écrivains débutent au lendemain du premier roman.