Transcription de onze leçons dispensées au Collège de France, ce cours, accompagné du résumé publié dans l’ Annuaire du Collège de France, développe une réflexion sur les concepts fondamentaux qui ont permis en Occident l’élaboration de la notion d’anormalité à la fin du XIXe siècle. Selon le philosophe, l’ensemble des « anormaux » comprend le monstre, l’onaniste et l’indiscipliné, cette dernière catégorie — celle des « individus à corriger » — demeurant pour ainsi dire à l’état de croquis parce que sa généalogie, incomplète, reste à élaborer en rapport avec la question massive de la distinction poreuse entre la normalité et la déviance, distinction empiriquement organisée dans le processus de psychiatrisation et de judiciarisation de certains comportements « difformes » inévitablement liés à la sexualité.
Comme dans Il faut défendre la société (cours de 1976 publié en 1997), le pouvoir est ici au centre de l’interrogation de Michel Foucault, mais articulée de manière plus précise au savoir. Au centre du débat : le corps en tant qu’il se trouve pris dans un dispositif qui cadastre historiquement ses instincts et ses désirs. Dans ce contexte, rien de surprenant à ce que l’anormal, pour qu’il puisse entrer dans le discours médical, passe par la notion de dégénérescence. L’hérédité pathologique est moins une maladie, une affection localisée et objectivable, qu’une anomalie permettant au discours psychiatrique de faire justement l’économie de la maladie. La conséquence est de taille et vaut la peine d’être soulignée : le dégénéré ne pouvant être guéri, le thérapeutique étant évincé, la porte est ouverte à toutes les formes d’exclusion, y compris au racisme institutionnalisé et politiquement légitimé. La psychiatrie peut désormais se dresser en protectrice de la société : « Elle se donne un rôle de défense sociale généralisée et, par la notion d’hérédité, elle se donne en même temps un droit d’ingérence dans la sexualité infantile. » On conçoit le danger d’une discipline médicale venant renforcer les mécanismes de surveillance. Le monstre humain (concept juridico-biologique) et l’onaniste (on se souvient de la croisade contre la masturbation de Tissot, déguisée en problème de santé publique) deviennent, comme l’indocile, des personnages cristallisant l’anti-nature qu’une gigantesque série de procédures cherchera à nier en normalisant l’axe somatopsychique de la société.