Entré sur la scène littéraire en 1994 avec Le pavillon des miroirs qui lui valut plusieurs prix prestigieux, Sergio Kokis livre son douzième ouvrage, Les amants de l’Alfama, l’Alfama pour une colline de Lisbonne ayant connu des amours tristes depuis le départ des Maures.
Le cadre spatio-temporel qu’offre la capitale du fado, en état de recueillement le jour de la fête des morts, colore d’emblée l’atmosphère du roman, tout entier traversé par des histoires d’amour malheureuses qui s’enchâssent dans celle de Joaquim. Le professeur de mathématiques n’a pas su décoder les paroles de la belle et vivante Matilda lorsqu’elle disait : « Je t’aime Joaquim Que veux-tu que je fasse ? Si mon amour t’emmerde, chasse-moi. Je t’aime assez pour m’en aller en silence, mon petit chéri ». Or le matin de la fête des morts, lorsque Joaquim se présente à la pension Ao Fado Cinzento, Matilda n’y est plus : elle est partie sans laisser d’adresse. L’amant en proie au désarroi erre dans la ville. Il s’arrête dans les rares bars ouverts, fume et boit, va au musée, désert comme les rues de la ville, pour s’absorber dans la réflexion que lui inspire La tentation de saint Antoine de Bosch. Les paroles de Matilda, la joie de vivre incarnée, lui reviennent par bribes. « Ce sera mon fado dorénavant, [ ], de n’entendre que sa voix dans ma mémoire. » Les paroles de l’amoureuse laissent filtrer des reproches enveloppés d’humour et de tendresse à l’endroit du mathématicien perdu dans ses équations et peu disposé au bonheur.
Un enchaînement de circonstances introduira Joaquim dans le groupe d’habitués d’une taverne qui chaque année commémore le souvenir des ivrognes défunts. Les personnages de Sergio Kokis ne font pas dans la dentelle. Pendant cette veillée funèbre, ils boivent et fument, encore et encore, et racontent les histoires des amis disparus, des histoires personnelles, réelles ou trafiquées, d’amours trahies, inavouées, d’amours inventées pour compenser un destin trop lourd.
Les thèmes du roman sont communs à toutes les histoires d’amour. D’ailleurs, toutes ne proviennent-elles pas d’un nombre fini de moules, de faire remarquer l’un des habitués de la veillée funèbre, l’archiviste un peu philosophe. Il n’empêche que Sergio Kokis confère une indiscutable singularité aux destinées qu’il imagine, grâce à sa maîtrise de l’art d’inventer des variations et de doter ses personnages d’une profonde humanité.