Quel est aujourd’hui notre rapport à la souffrance, celle qui défile sur nos écrans et celle qu’on éprouve (ou pas, ce n’est pas obligatoire) ? « L’entretien du désespoir pratique en fait sous couvert d’information une incessante représentation du pire, structurée, « vedettarisée », commanditée et réitérée à la manière d’un divertissement. » Où se tourner pour échapper au pire, sinon du côté de l’art ? Que devient l’art, sa pratique et sa réception, dans un monde dominé par la consommation ? L’art s’affiche-t-il souffrant parce que la souffrance garantit l’excellence du produit, devient le gage du talent, et nous rassure donc sur notre bon goût et notre profondeur ?
L’essai de René Lapierre tente, entre autres, de démonter la machine qui broie l’humain. Humain qui se laisse d’ailleurs broyer, peu soucieux d’assister à sa propre disparition. « Il y a des années, Times avait soulevé la controverse en faisant du PC sa personnalité de l’année », nous rappelle-t-il. Nous créons des systèmes, des modes et consentons à en devenir des esclaves. On dirait presque que la vie se vit sans nous. Tout s’organise de façon à ce que l’on se sente de plus en plus impuissant, contraint, obligé, résigné.
Comment demeurer critique ? L’est-on vraiment quand on se dit las de la publicité, de ce monde où tout se vend ? Cette lassitude tient de plus en plus lieu, comme l’écrit René Lapierre, de discours critique. Qu’advient-il alors de la création ? Est-ce encore par elle qu’on résiste, qu’on s’oppose, qu’on demeure vivant ? Car, écrit Dominique Nogez cité par René Lapierre, « la résistance est au cur de la création ». L’essai de René Lapierre s’inscrit dans cette démarche. Il résiste, y compris dans sa forme dont le style concis, parfois aride, ne laisse place à aucune séduction, allant toujours à l’essentiel, nous permettant par le fait même d’espérer.