La belle qualité des ouvrages de Winnicott est qu’ils s’adressent tout autant aux spécialistes qu’aux parents. Celui-ci, qui réunit de nombreux textes introuvables ou inédits en français, ne fait pas exception à la règle. Car si la pensée du grand pédopsychiatre et psychanalyste sur la connaissance, la morale et la religion a pu récemment être rapprochée de l’empirisme et du solipsisme de George Berkeley, cela ne l’empêche pas, à cause de ses riches fondements cliniques, d’interpeller directement, intimement même, chaque personne qui a à partager sa vie quotidienne avec des enfants ou des adolescents, qu’ils soient normaux ou qu’ils souffrent de pathologies plus ou moins graves. Le fait qu’il ne refoule pas le corps et ne le relègue pas aux oubliettes de la parole me semble un élément capital expliquant l’efficacité d’une pratique qui redonne espoir. Non, les mères (les pères non plus) n’ont pas à être parfaites ; elles doivent se fier à leur intuition et être « suffisamment » bonnes, c’est-à-dire maintenir avec leur bébé une relation adaptative et évolutive qui leur permette de développer un « vrai self », un sentiment de confiance et de force dans la vie.
Winnicott opte pour une vision globale de l’être humain. C’est que la psychiatrie est l’une des seules spécialités qui n’obéit pas au découpage mécanique de l’individu et demande impérativement une compréhension du développement impossible à acquérir sans amour, ce que dit ce mot magnifique : « Au moment où vous appelez un enfant de six ans […], c’est un poète et, par lui, la vie et le monde extérieur sont interchangeables ». Amour certes, mais également prise en considération du regard de l’autre : « Les gens ont besoin d’être vus », souligne Winnicott. Et voir est un travail de patience. À ceux et celles qui prétendent remettre en question la psychanalyse, en prétextant qu’elle prend trop de temps et donc coûte trop cher, Winnicott offre une réponse à mon avis indiscutable. Contrairement à une médecine du rendement, la cure par la parole et le corps consiste à intégrer le temps : « Nous aussi, nous obtenons de bons résultats, mais seulement après un laps de temps dont nous ne maîtrisons pas la durée. » Il faut voir là non pas un aveu de faiblesse, mais la force des processus subjectifs. C’est cette maturité qu’on peut lire dans des textes comme « Les enseignants, les parents et les médecins » et dans ceux relatifs à des problèmes comme l’énurésie et la névrose cardiaque infantile, les troubles du sommeil, l’adoption et l’autisme. Une maturité synonyme d’écoute et de vision, de passion.