Depuis le 11 septembre, fort nombreux ont été les ouvrages tentant de mieux comprendre les motivations des auteurs des célèbres attentats et de ceux qui ont commis d’autres actes violents au nom de l’islam. La plupart des analystes abordent ce phénomène à partir de leur propre expertise : sociologie, anthropologie, philosophie, histoire, politologie, islamologie. L’intérêt de l’ouvrage de Marc Sageman réside dans la formation intellectuelle, unique, de l’auteur : celui-ci est à la fois psychiatre, docteur en sociologie et ex-agent de la CIA au Pakistan. Il est donc particulièrement bien armé pour avancer une explication différente, se référant à la fois à la psychologie, à la sociologie et à l’expérience de terrain.
Si les premiers chapitres de l’ouvrage portant sur la genèse du mouvement islamiste empruntent à des éléments connus des experts, le caractère novateur du livre se déploie quand Marc Sageman analyse le parcours individuel des terroristes islamistes. À partir d’une étude détaillée de l’origine ethnique et géographique, du bilan socioéconomique des membres connus d’al Qaïda, y compris ceux qui ont évolué à Montréal, l’analyste américain s’attaque d’abord à quelques mythes créés autour de ces personnes : maladie mentale, narcissisme, paranoïa, précarité économique. Selon l’auteur, le saut de ces individus d’un monde « normal » vers celui de la terreur aveugle comporte trois étapes : l’adhésion sociale au djihad (mot arabe pour effort, guerre sainte), suivie d’une poussée progressive vers la foi. Puis l’entrée formelle dans le djihad.
La clé du processus réside dans le lien social que suscite l’appartenance à un groupe bien scellé. « Comme dans toutes les relations intimes, ce ciment, l’amour du groupe, se trouve au sein du groupe. Il est bien plus pertinent d’attribuer le terrorisme à l’amour du groupe qu’à la haine de l’extérieur. » L’appartenance à une entité close, nouveau pivot identitaire, est ce qui permet de comprendre l’évolution d’individus, la plupart en apparence sains d’esprit, vers la mise en œuvre d’actions nihilistes. Pour maints d’entre eux, dit l’auteur, la précarité psychologique, souvent liée à l’exil, et la recherche d’un « apaisement émotionnel », agissent comme catalyseurs. C’est donc en comprenant intimement cette évolution particulière qu’il convient de les combattre.