La collection « Bouquins » des éditions Robert Laffont a développé une véritable spécialité en matière d’anthologies d’écrits de voyage. Après Le voyage en Orient (1985), Italies (1988), Le voyage en Russie (1990), Les Indes florissantes (1991), Le voyage en Asie centrale et au Tibet (1992), Le voyage en Chine (1992), Le voyage en Polynésie (1994), Le voyage en France (1995) et Le voyage en Suisse (1998), elle se tourne maintenant du côté des nombreux voyageurs français qui, du XVIIIe au XXe siècle, ont visité l’Angleterre. En plus de la qualité de la sélection des textes à laquelle nous a habitués cette série, cette anthologie des voyageurs outre-Manche se démarque par sa présentation. Plutôt qu’une approche proprement chronologique, Jacques Gury adopte une présentation par thèmes qui se révèle heureuse. De l’« Embarquement » et des impressions des voyageurs au début de la traversée jusqu’aux « Adieux » et aux circonstances entourant le retour, les lecteurs sont invités, par voyageurs français interposés, à parcourir « Londres » et notamment ses bas-fonds et ses quartiers populaires ; à traverser « D’une Angleterre à l’autre » par les champs et par les villes ; à faire des pèlerinages dans les « Terres celtiques » et en particulier dans la romantique Écosse et la verte Irlande. La partie « Étranges insulaires » réunit les principales réactions des voyageurs à l’égard des mœurs anglaises (l’humour anglais, l’éducation à l’anglaise, la gastronomie, la culture, la littérature, les religions, les arts, etc.). En annexe de l’ouvrage, on trouve des cartes géographiques, les notices biographiques des voyageurs, une chronologie, une bibliographie et un index des noms de personnes, des noms de lieux, des mots anglais et anglicismes.
Professeur à l’Université de Tours, Jacques Gury a mis dix ans à constituer cette somme. Comme il le rappelle dans son introduction, les relations entre la France et l’Angleterre existaient bien avant le XVIIIe siècle. Toutefois les Lettres philosophiques de Voltaire, parues en 1734, semblent représenter le « premier grand monument franco-britannique ». Quant à Pierre Mac Orlan, il contribua à entretenir au XXe siècle « la nostalgie d’un Londres des mystères ». Entre les deux, des auteurs connus (Chateaubriand, Constant, Huysmans, Michelet, Nerval, Gautier, Bourget, Verlaine, Zola, Flora Tristan, etc.) mais aussi moins connus (Bombelles, Grosley, etc.) témoignent de deux siècles de va-et-vient entre les deux côtés de la Manche. Leurs écrits de voyage permettent de constater l’évolution des idées reçues que se transmettent les générations de voyageurs français au sujet des Britanniques, mais aussi à quel point leurs observations dépendent de l’état des relations franco-anglaises. Selon les événements politiques en France, les voyageurs balancent entre l’anglomanie ou l’anglophobie, entre dénigrer la perfide Albion ou faire l’éloge d’une terre d’exil et d’un pays d’accueil. En 1728, Voltaire écrit : « Voilà comme tout change, et que tout semble se contredire. Ce qui est vérité dans un temps est erreur dans un autre. […] C’est peut-être ainsi qu’il faudrait juger des nations, et surtout des Anglais. »