David Homel revient sagement sur ses pas, avec humour et un gros brin de cynisme.Ce récit commence comme un témoignage, bascule subtilement dans une forme d’essai assez libre et contient des pages finales qui s’apparentent à de la croissance personnelle. David Homel relate les circonstances au cours desquelles, cherchant à échapper à son enrôlement dans une guerre qu’il ne souhaite pas faire (la guerre du Vietnam), il se retrouve en France puis en Espagne, au fond d’un ravin, les jambes brisées. Il conte son inquiétant séjour dans un hôpital aux pratiques pour le moins étranges, et l’époque où il s’efforcera de trouver une vie normale, d’abord à Paris, puis de retour chez lui, aux États-Unis, et au Canada, son pays d’adoption. C’est une vie à rebours qu’il décrit là, une vie où un homme apprend à composer avec son corps et à en apprécier les beautés au fur et à mesure que ce corps déjà lourdement hypothéqué subit les ravages des années. Cela nous donne droit à des propos qui, plus on avance dans la lecture, quittent le récit proprement dit pour frôler tantôt l’essai, tantôt le livre de développement personnel, dans des pages où Homel malmène tour à tour notre rapport au corps, notre soumission et celle des médecins aux grandes sociétés pharmaceutiques, ces entreprises qui, pour vendre aux citoyens et à l’État leurs cochonneries de synthèse, conçoivent des maladies qui n’étaient jusque-là que de banals phénomènes naturels liés au vieillissement : « Pour que Pfizer pût gagner ses millions, il fallait inventer la dysfonction érectile et y trouver un remède ». Le récit se tient très près du pamphlet, dans le sens où l’auteur s’en prend à notre peur du vieillissement et à notre rapport tordu au désir physique. L’anecdote serpente ainsi au point de se dissoudre en une série de souvenirs sur divers sujets : la sexualité, le culte de la performance et celui du corps, le recours abusif aux médicaments et à la pharmacologie pour se maintenir dans une forme avantageuse ou dans un idéal de soi-même.Tout cela, bien entendu, colle au propos initial : l’accident qui, à dix-huit ans, lui a coûté des mois, voire des années de tranquillité, et qui résulte en une vie à rebours (le sous-titre du livre) relatée avec humour, avec une ironie qui verse parfois dans l’autodérision, non sans tendresse et avec le type d’esprit critique qui rappelle Mark Twain et les satiristes.Je suis un peu partagé devant le récit de David Homel. Comme devant n’importe quelle œuvre, j’essaie de comprendre quelle intention y préside, ce que l’auteur entend exprimer et par quels moyens. Bien sûr, je goûte, je ne boude pas les moments de plaisir simple, la verve et l’humour homéliens. C’est intelligent : un bon point pour Homel, il me fait réfléchir.L’écriture et la construction me semblent nettement plus « américaines » que « françaises ». Ça coule, ça vit ; son jardin narratif est plus anglais que français, on y suit des détours, car la ligne droite digresse joyeusement. Quelques longueurs empêchent pourtant la pleine réussite.J’aime bien cette idée d’une littérature anarchiste qui méandre sans se préoccuper à tout prix d’une construction serrée classique et hiérarchique, une écriture libérée où tel point ne vient pas obligatoirement avant tel autre et qui ne recourt pas à la démonstration rigoureuse.Enfin, son récit m’a rendu quelque peu mélancolique quand je considère que cette société que raille et condamne en partie David Homel, c’est moi, c’est vous, c’est nous tous qui la faisons telle qu’elle est.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...