Un ventriloque se pare de voix. Il invente des histoires, devient tour à tour les personnages créés, il fabrique des métaphores, multiplie les images qui sont autant de visages à ses peurs intimes, à ses fantasmes, à ses désirs enfouis. Le ventriloque voyage d’un masque à l’autre, d’un univers à l’autre. Et le point commun de tous ces voiles et leurres, à savoir ce qui persiste malgré les changements, ce qui ne bouge pas dans la tourmente, c’est son rôle de narrateur : dans cette galerie de personnages, parmi l’écho de ces voix qui entrent en scène, le ventriloque est partout, seul partout à la fois. Le langage, allié à l’imaginaire, trace ainsi des lignes de fuite où l’identité se perd en des formes hétéroclites, multipliées. Entre soi et l’autre, il n’y a qu’un pas, un tout petit pas, comme le constate le lecteur de cette pièce de Larry Tremblay. Ce ventriloque/docteur Limestone fait face à Gaby, une jeune écrivaine de 16 ans : « Le temps et l’espace basculent. Docteur Limestone entre dans la chambre mais on a plutôt l’impression que c’est Gaby qui arrive », indique l’auteur pour faire comprendre l’ambiguïté des identités en présence. Gaby rêve d’écrire le plus beau roman du monde, et même de dépasser Balzac. Mais au cœur de cette ambition, comme le ver du fruit, se profile l’image du frère, lui aussi poète, exilé, oublié, qui confine le rêve de Gaby à l’échec. Ce lien narcissique frère-sœur par la création artistique et le rêve bafoué du grand œuvre évoque cette autre relation fraternelle dont parle Larry Tremblay dans Le génie de la rue Drolet, où le personnage principal, artiste manqué, attend, en vain, que sa sœur jumelle reconnaisse devant tous la valeur de son art. On devine le drame subséquent : même sa mère, à la fin, ne reconnaîtra plus son fils venant à elle. Le ventriloque pour sa part échappe aux affres de la création, et s’inscrit assurément dans le champ de l’art, avec l’importance que lui reconnaissent déjà plusieurs lecteurs. Larry Tremblay, autant poète que dramaturge, poursuit donc une œuvre qui étonne, questionne, voire même qui bouleverse, à travers ces masques multipliés et l’ambiguïté des situations créées. Docteur Limestone, s’adressant à Gaby, mais tout aussi bien au spectateur, affirme à ce titre : « [i]l y a des gens qui manipulent l’heure de leur montre, qu’elle soit de grande et de piètre qualité, pour faire coïncider le vrai avec le faux […]. Ce n’est assurément pas votre cas. Mais entrez donc ! » L’invite est lancée, et je la renouvelle.
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