Le tristement célèbre Johnny Lim se lit comme une enquête sur l’identité du personnage principal. Trois témoins nous serviront de guides dans cette quête qui nous plonge dans la Malaisie de la Seconde Guerre mondiale. D’abord, le fils de Johnny, Jasper Lim, tente de nous convaincre de l’infamie de son père qu’il représente tour à tour comme un assassin, un brigand, un trafiquant de drogues et comme un traître. Mais curieusement, la lecture de son plaidoyer nous fait plutôt prendre en sympathie ce Chinois d’extraction modeste qui refuse l’esclavage des colonisateurs et qui se révèle un génie de la mécanique, un commerçant doué et un meneur d’hommes.
Dans la seconde partie du roman, la narration est laissée à l’épouse de Johnny, la belle Snow Soong. Par le biais d’un journal qu’elle tenait à l’époque, nous pénétrons dans les coulisses d’une union qui, par consentement mutuel, ne fut jamais consommée. (Alors, qui est le père de Jasper ?) Cette fille de bonne famille, élevée dans une atmosphère de grand raffinement intellectuel, nous dépeint un être frustre, fuyant, opaque, de peu d’envergure. Surtout, elle nous relate leur désastreux voyage de noces dans les îles du détroit de Malacca, avec trois étranges chaperons : Frederic Honey, un odieux Britannique, exploiteur de mines d’étain, Peter Wormwood, un comédien anglais aux mœurs sexuelles ambiguës, et Mamoru Kunichika, un énigmatique professeur japonais.
Enfin, Tash Aw laisse la parole à un troisième narrateur, l’ami et confident de Johnny Lim, Peter Wormwood. Maintenant octogénaire, il finit ses jours dans un foyer malais pour personnes âgées. Des trois témoins, c’est celui qui brosse le portrait le plus chaleureux de notre étrange « héros ». Lui seul semble en avoir saisi l’humanité. Au terme du roman toutefois, l’énigme de Johnny Lim reste totale et le lecteur fait sienne cette réplique de Snow : « Son univers m’est complètement inaccessible. Peu importe qu’il s’agisse d’un univers plein de secrets ou de vide, il n’en reste pas moins que je ne connais pas mon mari ».
Avec la grande nature malaise pour toile de fond, Tash Aw a tissé une riche et chatoyante histoire sur le jeu des apparences et de l’identité. Ce jeune auteur, né en Malaisie mais éduqué en Angleterre où il vit, fait preuve d’une maîtrise et d’une assurance étonnantes dans ce premier roman. Les chapitres les plus réussis, ceux consacrés aux récits du fils et de Wormwood, signalent l’arrivée d’un écrivain prometteur. Le tristement célèbre Johnny Lim a été couronné du Whitbread First Novel (aujourd’hui le Costa Book Award), en 2005.