Après un roman puis un remarquable recueil d’essais, Roland Bourneuf revient aux récits brefs qui ont jalonné sa vie d’écrivain. Moins préoccupé que jamais par la tension narrative ou la chute spectaculaire, il préfère encore approfondir un « genre » composite : la nouvelle méditative, au style contemplatif, que l’on parcourt avec l’impression d’une lente traversée. C’est d’ailleurs divers passages qui occupent l’esprit des personnages de Bourneuf, dans une expérience diffuse du « seuil » où les visages empruntés par la mort et la métamorphose se multiplient. Passage d’un lieu ou d’une époque à une autre, sensation des limites, l’homme et la femme sont toujours à la croisée de chemins dont on ne sait s’ils mènent quelque part : « Des plaines à traverser pas à pas. C’est comme s’il avait une très longue marche à faire, ou bien peut-être elle s’achève, ou elle n’a pas même encore commencé. Si seulement il parvenait à saisir un fil entre tout cela Il lui semble qu’alors il serait sauvé » (« Une trace, à peine »).
Plusieurs de ces nouvelles nous font suivre des vagabonds volontaires, poussés plus ou moins soudainement sur les routes, appelés vers des lieux où ils auront l’impression de se rencontrer davantage. Sans effort apparent, sans brusquerie, une cohérence profonde s’établit entre les textes, tant par les thèmes que par un ton fraternel et attentif au possible.
En apparence plus réaliste qu’autrefois, utilisant beaucoup la description, l’auteur contourne toutefois l’événement pour mieux creuser les intuitions, suggérer l’indicible. Il confirme ainsi les vertus spirituelles de son langage, traversant tranquillement mais sûrement le fleuve humain en direction de la postérité.