Dans sa maison de Baie-Saint-Paul, Blanche classifie ses trésors, des livres surtout, accumulés au cours d’une longue vie. Puis, elle les dépose dans des boîtes bien identifiées et empilées contre le mur. Il ne s’agit pas vraiment du grand ménage : d’abord, elle a besoin des murs pour noter toutes sortes de choses importantes. Alors, pas de produits ménagers, de lessive, de nettoyage des pièces. Cela attendra bien. Comme sa propre toilette, minimaliste. Les mêmes vêtements, toute la semaine. Avant de les jeter carrément et d’en attraper d’autres pour la semaine suivante. Jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus.
Son amie Jeanne D’Arc la talonne. L’intervenante des services sociaux fronce les sourcils. Blanche ne se préoccupe ni des reproches ni des inquiétudes. Elle a trop à faire : observer le travail de sa voisine d’à côté, la femme aux pinceaux, dans son atelier, accueillir Bozo ou Bidou qui hantent le village depuis leur sortie de l’institution psychiatrique, suivre les allées et venues de la femme fatale, de Mme Légaré, perdue dans son monde, ou des religieuses du couvent d’en face, et surtout écrire une lettre pour la jeune Mélodie dont elle s’est longtemps occupée, la mère en étant incapable. Blanche n’est pas pressée, mais quand même
« Aussitôt que j’aurai terminé mon rangement, pense Blanche, je pourrai enfin m’asseoir et attendre. Attendre en regardant le fleuve au loin. Attendre en essayant d’imposer le silence aux voix qui jacassent en moi. Attendre en tentant de m’abstraire de la toile aux millions de fils qui agite ma pensée sans cesse, qui l’agite jour et nuit. La toile me reliant encore au monde. En pesant de moins en moins sur la planète, je plongerai tout entière dans l’instant, jusqu’à être hors du temps, jusqu’à être, simplement. »
Le train pour Samarcande, ce dernier train que l’on prend un jour, ne tardera plus. C’est ce qu’elle répète à Florent, son mari décédé, à qui elle raconte à haute voix les transformations du monde et pour qui elle invente depuis tant d’années la vie d’homme de Louis-Jonas, leur fils unique mort trop jeune.
Prix Robert-Cliche 2008, Le train pour Samarcande raconte avec une belle sensibilité les dernières semaines d’une vieille femme qui s’apprête pour le grand départ. Si on se laisse happer, dès le premier chapitre, par la lucidité et la vitalité de ce personnage fort, on regrettera certaines longueurs au fur et à mesure que l’on suit les pensées tourbillonnantes de Blanche. Malgré ce petit bémol, Danielle Trussart propose, dans ce premier roman truffé de belles trouvailles, un autre regard sur la vieillesse, la solitude et la mort qui se lit avec plaisir et annonce une intéressante voix d’écrivain.