Sur le ton de l’ironie et de la dérision, Aravind Adiga jette un regard caustique sur l’Inde du XXIe siècle dans son premier roman, Le tigre blanc (Man Booker Prize 2008). « En résumé, dit son héros Balram Halwai, il y avait autrefois mille castes et destins en Inde. De nos jours il ne reste que deux castes : les Gros Ventres et les Ventres Creux. Et deux destins : manger ou être mangé. »
Né dans l’humble caste des serviteurs et des confiseurs, Balram, surnommé « tigre blanc » en raison de ses qualités qui le font trancher sur ses congénères, décide un jour de retracer son ascension sociale dans une série de lettres. Leur destinataire : le premier ministre chinois Wen Jiabao, qui doit bientôt visiter l’Inde pour en apprendre davantage sur l’esprit d’entreprise des Indiens. Dans ces missives, notre héros se présente comme « le » modèle de la réussite. Il y raconte d’une manière à la fois naïve et candide comment, pour échapper à une vie sans issue, il a quitté les rives noires du Gange, d’abord pour être chauffeur à Delhi avant de faire fortune à Bangalore, au cœur de la Silicon Valley indienne.
S’étant éloigné des siens et de son milieu, Balram révèle surtout comment, avec ce dépaysement, lui sont venus le goût et le besoin d’échapper à sa condition. Mais cette évasion hors de sa caste ne pourra se faire sans effusion de sang et sans d’horribles sacrifices. La dignité ne peut-elle s’acquérir qu’à ce prix ? À travers ce destin particulier se dessine un portrait assez peu flatteur de la société indienne. « Jamais auparavant dans l’histoire humaine un nombre aussi restreint de personnes n’a eu une dette aussi importante envers un si grand nombre, monsieur Jiabao. Ici, une poignée d’hommes a entraîné les 99,9 % restants [ ] à vivre dans une servitude perpétuelle ; une servitude si forte que, si vous mettez la clé de son émancipation dans la main de quelqu’un, il vous la jettera à la figure en vous maudissant. »
Sans jamais céder au pathos ni au prêchi-prêcha, le roman d’Aravind Adiga met au jour l’existence de « deux Indes. Celle des Ténèbres et celle de la Lumière ». Faux roman humoristique mais vraie dénonciation du sort réservé aux oubliés du progrès, Le tigre blanc est surtout un allègre conte moral qui se lit d’une traite.