Je n’avais jamais lu Heinrich Böll. Ces deux titres datent respectivement de 1947 (Le testament) et de 1948 (Croix sans amour), et ils comptent parmi les plus anciens à avoir été traduits en français. Valait-il mieux aborder cette œuvre immense par un de ses quelques classiques, L’honneur perdu de Katharina Blum ou Portrait de groupe avec dame ?
Ce sont là, quoi qu’il en soit, deux récits de facture assez classique, bien faits, prenants, et qui restent, je trouve, tout à fait d’actualité bien qu’ils soient situés, l’un dans l’Allemagne d’avant la Seconde Guerre mondiale, l’autre en 1943, soit au cours de cette même guerre, une guerre que Böll a lui-même vécue de l’intérieur. Actuels par ce qu’ils mettent en jeu et en scène : l’opposition entre certaines valeurs nationales collectives, d’une part, et, de l’autre, les intérêts et aspirations des individus qui partagent ou refusent radicalement tout ou une partie de ces valeurs. Böll recourt dans chaque cas à un procédé connu : le conflit entre deux figures contrastées. Là, dans Le testament, petit récit d’une centaine de pages, deux officiers s’affrontent. Ils sont du même camp, mais l’un ne vit que pour un ordre de fer et une discipline de terreur, tandis que l’autre tente de régler par la morale catholique son existence et celle des hommes sous ses ordres.
Ici, dans Croix sans amour, la confrontation a lieu entre deux jeunes frères, le premier fortement attaché au national-socialisme montant, le second, défenseur des libertés individuelles.
Dans chaque cas, un dénouement tragique et violent attend l’un des héros. L’art de Böll réside dans la manière habile dont il se promène d’un personnage et d’un lieu à un autre, nous donnant au passage certains personnages secondaires d’une extrême beauté et d’une touchante profondeur, comme cette Mme Bachem, la mère des deux frères, peut-être la figure la plus attachante de tout le récit.