Dans son essai, le romancier et nouvelliste arabe, qui vit aujourd’hui à New York, revient sur ses années égyptiennes. Né et ayant grandi sous la dictature de Gamal Abdel Nasser, il en brosse le portrait à travers une multitude d’anecdotes et de souvenirs.
L’auteur de L’immeuble Yacoubian et des Chroniques de la révolution égyptienne élargit sa réflexion à d’autres dictatures, en mettant en lumière leurs caractéristiques communes. Et elles sont nombreuses.Premier constat : tous les tyrans souffrent de narcissisme, de mégalomanie, de paranoïa et de sadisme. Aucun n’hésite à recourir à la terreur et à la torture pour imposer ses volontés à la population. Pour y arriver, les tyrans peuvent compter sur le soutien des institutions sociales et étatiques préalablement mises sous leur coupe : la presse, la police, l’armée et l’appareil judiciaire. Enfin, la création du mythe de la patrie menacée par de prétendus complots étrangers vient justifier le fait que le chef doit faire montre d’une autorité implacable pour le bien même du peuple.Jusqu’ici cette analyse du fonctionnement des dictatures est assez convenue. Toutefois, l’élément nouveau qu’apporte El Aswany à notre réflexion, c’est le rôle que joue « le bon citoyen » dans le maintien de ces régimes. « Le bon citoyen, écrit l’auteur, n’éprouve pas d’intérêt pour ce qui est extérieur au cadre des exigences de son existence quotidienne. Il a compris que tout ce qui se passe dans son pays est décidé uniquement par son chef d’État et que, s’il essayait de jouer un quelconque rôle dans les affaires publiques, cela n’y changerait rien et aurait pour effet d’attirer sur lui des catastrophes : l’emprisonnement, la torture, la mort. » Aussi est-il prêt à toutes les compromissions.On peut parler de schizophrénie sociale quand l’hypocrisie dans la vie politique s’étend progressivement à tous les domaines de la vie civile et quand la corruption passe de l’état de concept à celui de pratique quotidienne généralisée. Alors, pour le bon citoyen, « le meilleur plan est de s’isoler lâchement […]. Il n’y a pas d’intérêt collectif, seulement son intérêt propre et celui de sa famille ». Par contagion, il devient lui-même un mini-dictateur qui adopte dans sa vie quotidienne les mêmes attitudes. Les bons citoyens sont donc en partie coupables de la longévité du pouvoir des dictateurs.Ce côté « volontaire » de la servitude trouve son expression la plus manifeste dans l’étonnante apathie de millions d’individus devant la volonté d’un seul homme, souvent un individu assez médiocre en soi. Cette forme d’assentiment à leur propre sujétion est un aspect de la dictature dont on parle assez peu. C’est, pour nous, ce qui a fait l’intérêt principal du Syndrome de la dictature. Les autres pistes de réflexion suivies par Alaa El Aswany, qui sont loin de manquer d’intérêt elles aussi, portent sur les causes, les symptômes, les méthodes de propagation et les moyens pour prévenir l’apparition des dictatures.