Depuis plusieurs années, l’École lacanienne slovène, radicalement distincte de l’orientation clinique prise par les lacaniens francophones, s’affaire à construire un projet politique social-démocrate à notre époque postmarxiste. La tâche n’est pas facile, mais il peut être tout à fait utile de la poursuivre dans un lieu comme le Québec où le désert croît, où quiconque cherche à déconstruire l’intégrisme du Capitalisme Mondial Intégré représenté par une classe politique suintant la sottise est considéré comme suspect d’archaïsme.
Poursuivant le travail amorcé minutieusement dans Le plus sublime des hystériques, Hegel passe et The Sublime Object of Ideology, Zizek, membre influent de ladite École slovène, se donne trois objectifs ambitieux : introduire à certains concepts lacaniens et localiser son intervention comme rationalisme hérité des Lumières rompant avec le poststructuralisme ; permettre un « retour à Hegel », c’est-à-dire sa relecture non comme apôtre d’un Savoir Absolu enté sur un pan-logicisme, mais comme penseur de la différence et de la contingence ; faire avancer la théorie de l’idéologie en dégageant certains des concepts (le point de capiton, l’objet sublime, la jouissance, le plus-de-jouir, etc.) qui pourraient dans ce contexte devenir opératoires.Les trois objectifs expliquent le sous-titre de l’ouvrage : Le centre absent de l’ontologie politique, tout comme son projet qui consiste à « réaffirmer le sujet cartésien », rejeté aujourd’hui par de nombreux théoriciens. Mais attention : bien loin de procéder à une remise en piste du cogito comme transparence à soi-même, Zizek propose un parcours qui vise à éclairer les modalités d’émergence du Réel dans le concret des collectivités humaines et de la nature.
Il s’agit donc d’un livre politique de gauche au sens noble du terme, prenant en compte la barbarie du Capitalisme Mondial à partir du malaise dans la culture qui l’affecte et dont Freud avait en son temps dégagé les mécanismes. En d’autres termes, on ne saurait s’appuyer sur une éthique libérale et conservatrice favorisant la pulsion de mort de jouissance renforcée par le surmoi. Il faut penser et vivre une autre pulsion de mort, celle qui met au jour la dimension perturbatrice du sujet et du vivre-ensemble.