C’est immédiatement la kabbale qu’évoque ce titre alchimique. Sans entrer ici dans l’herméneutique anagrammatique et symbolique que permet l’hébreu, mentionnons simplement, en suivant les érudits repris par Pierre Trigano et Agnès Vincent, que l’esprit hébraïque lie étroitement l’expérience du rêve au symbole du sel, union du feu et de l’eau, le premier représentant pour Jung le conscient et la seconde l’inconscient. D’entrée de jeu, c’est donc toute la thématique de la constitution psychique en tant que totalité harmonieuse qui se trouve mise en place, thématique qui n’est pas sans poser quelque problème en ce qu’elle ne voit pas que le sujet humain ne se constitue que de sa division. Nous abordons là des terres bien différentes de celles explorées par Freud. Pour ce dernier, le rêve était l’accomplissement du désir et son ombilic demeurait impénétrable, un reste perdurait. Pour Jung – du moins tel que le lisent parfois brillamment les auteurs –, le rêve constitue une « totalité signifiante », une image donnant voix à un Autre, le Soi, s’adressant de l’intérieur du rêveur à son moi conscient. On comprend dès lors combien sont éloignées la clinique jungienne et la clinique freudienne.
Malgré son caractère parfois insupportablement répétitif, ce livre atteint en certains endroits une réelle profondeur. Méditant avec une analysante sur la nécessité pour elle d’un travail de naissance à elle-même, Trigano écrit qu’« avant même d’être inscrits dans la tradition d’une identité, nous sommes tramés par le devenir (ou mieux l’à-venir) de la différenciation de la vie qui transcende nos appartenances à toutes les matrices de l’existence ». Belle manière d’introduire la complexe question du transgénérationnel dans un ouvrage qui se donne pour objectif de présenter la sagesse des rêves pour ouvrir à une psychologie du Soi conduisant à une psychologie symbolique. Projet stimulant s’il en est un – d’autant plus qu’il poursuit les avancées d’Étienne Perrot –, mais qui se perd malheureusement à plusieurs reprises dans le mythe de la totalité harmonieuse et dans des méandres vaseux. Témoin, cette créativité qui devient une « pulsion innée », un « instinct fondamental » lui-même « sagesse supra-consciente au cœur de la psyché » autorisant la sortie de l’étroitesse identitaire.
Je serai clair : les auteurs, fondateurs de l’École du Rêve et des Profondeurs, à Montpellier, contribuent certes à un approfondissement de Jung, en particulier dans leur psychopathologie archétypale, dans leurs analyses de rêves (dont celui où l’inconscient familial d’une rêveuse « annonce » le 11 septembre, éclairant ainsi « le Père inflationniste de l’inconscient collectif américain ») et de contes. Au fil de la lecture, on en vient cependant à se demander pourquoi Pierre Trigano et Agnès Vincent ne comparent pas les théories de l’interprétation des rêves de Freud et de Jung. Peut-être parce que le premier, ne visant pas au lumineux, conserve à la psyché humaine son fond obscur et infranchissable.