Au moment où il effectuait les recherches qui allaient mener à la rédaction des Bienveillantes (Gallimard, 2006), Jonathan Littell est tombé sur les écrits de Léon Degrelle, qui fut la figure la plus célèbre du fascisme belge dans les années 1930 et 1940. Sorti des rangs de la presse catholique, doté d’une brûlante ambition politique, Degrelle mit sur pied une légion fasciste wallonne qui fut intégrée pendant la guerre aux légions de la Waffen-SS allemande. Décoré par Himmler puis par Hitler, il fera la guerre sur le front de la Russie, s’enfuira en Espagne à la fin des hostilités et y mourra en homme d’affaires prospère en 1994.
À partir desonlivre La campagne de Russie, dans lequel Degrelle raconte sa guerre sur le front de l’Est, Littell tente de mettre au jour la structure mentale de son auteur en s’inspirant de l’approche du chercheur allemand Klaus Theweleit. Auteur de Männerphantasien (1977 ; non traduit en français mais édité en anglais sous le titre Male Fantasies), celui-ci avance l’idée que « la réalité meurtrière d’un État fasciste [est] fondée sur la violence non comme la conséquence des convictions, des idées ou des intérêts industriels en jeu, mais comme la traduction des états corporels dévastateurs dont souffraient ses protagonistes ». Dans une postface à l’ouvrage de Littell, Theweleit précise que « le fascisme est un état corporel ; une matière dangereuse, qui pousse puissamment et violemment à un ajustement, une soumission de l’état du monde à l’état du corps fasciste ». Autrement dit, la clé pour comprendre le fascisme et les fascistes serait à chercher du côté de la psychanalyse plutôt que du côté des analyses politiques.
Adoptant le même point de vue, Littell procède dans son ouvrage à une étude de cas qui prend la forme d’une analyse sémantique et lexicale des écrits de Degrelle sur sa guerre en Russie. L’auteur choisit pour ce faire la méthode d’opposition binaire dont le titre est le résumé. Ainsi donc, pour le fasciste, le sec serait la rectitude, la propreté, l’armure dont il se fait une carapace, l’humide étant la boue, ce qui coule, absorbe et conduit à la dissolution des limites corporelles. On le comprend, avec Le sec et l’humide, on est loin des poncifs et des idées rebattues sur le fascisme. Outre la nouveauté du point de vue, l’opuscule de Littell jette un éclairage nouveau sur le singulier personnage de Maximilien Aue dans Les bienveillantes, avatar de tous les Degrelle de l’époque.