« Ils tombaient comme les feuilles mortes. La lumière s’éteignait et ils n’étaient plus de ce monde. » Ces hommes et ces femmes de tous âges qui meurent par centaines dans les villages du Henan, ce sont les paysans pauvres qui, poussés par les autorités locales, ont vendu leur sang pour la fabrication du plasma. Dix ans après cette folie de collecte de sang faite sans la moindre précaution, des familles entières sont emportées par le sida. Mais si le gouvernement de Beijing a fini par admettre sa responsabilité dans ce scandale, le roman de Yan Lianke, lui, est interdit de publication dans son propre pays.
Mais Yan Lianke est habitué au scandale. Son précédent roman, Servir le peuple, publié chez Philippe Picquier, a aussi été interdit. L’ancien écrivain de l’armée, très populaire en Chine, a écrit Le rêve du village des Ding, roman inspiré de la tragédie du Henan, poussé par la colère et la passion. Lui-même né dans cette province du centre du pays, il raconte les destinées diverses des membres d’une même famille au cœur de cette tourmente. Alors que le fils cadet du vieux Ding mourra du sida – non sans avoir bravé les interdits en vivant en concubinage avec l’épouse, aussi victime de la maladie, d’un lointain cousin -, son aîné s’enrichira avec la vente du sang puis, alors que les morts se multiplieront, avec la vente frauduleuse des cercueils et l’organisation de mariages dans l’au-delà. Cette dernière activité très lucrative donne d’ailleurs droit à des passages assez macabres où les cadavres sont déterrés et déplacés pour être enterrés de nouveau avec leur « époux » ou leur « épouse ». C’est ainsi que Ding Hui marie même son fils de douze ans, empoisonné par les villageois en représailles à sa responsabilité dans la propagation du sida, à une jeune défunte de vingt ans handicapée physique et mentale. Ce jeune garçon, dont on apprend la mort dès le début, est par ailleurs le narrateur du roman.
Roman réaliste, Le rêve du village des Ding est une véritable charge contre la corruption, le désir effréné d’enrichissement rapide, l’obscurantisme et l’effritement des valeurs morales. Un roman dur.