Il y a un peu du Voyage d’Anna Blume de Paul Auster dans les Récits de Médilhault : des personnages racontent leur existence défaite dans une civilisation d’après Troisième Guerre mondiale. Si le livre de l’Américain parle d’un voyage dans « le pays des choses dernières », comme l’évoque son titre original, celui d’Anne Legault nous précipite vers un recommencement, « [f]inias terrae, la fin de la terre, et son commencement ». De nouvelles cités, avec leurs lois, se sont construites sur les ruines de notre monde, emporté par une énigmatique épidémie, dont on ne saura jamais rien. Contrairement à Anna Blume, donc, les personnages d’Anne Legault ne sont pas réduits à l’ultime désespoir devant rien. Les pauvres subsistent en pratiquant les métiers de toujours ; les riches profitent de leur malheur. Un gouvernement totalitaire régit les moindres gestes des citoyens, à l’aide d’une police meurtrière. On n’y a plus le droit de lire. D’ailleurs, l’écriture s’est presque perdue. Un autre 1984 ? Non. Ni dans le ton, ni dans l’atmosphère créée, ni dans le « message » véhiculé. Nous ne sommes pas devant une critique du communisme, mais de son contraire : la quête capitaliste du bonheur qui est la nôtre. Les héritiers que nous dépeint l’auteure payent lourdement la dette de leurs ancêtres, et ne veulent surtout pas reproduire les erreurs d’un monde qu’ils qualifient de barbare.
Cette histoire apocalyptique est de son époque en somme. Elle puise, comme bien d’autres romans de science-fiction, dans l’angoisse d’une fin du monde tel que nous le connaissons. L’originalité du livre réside surtout dans les ramifications entre les récits, puisqu’il s’agit de nouvelles. Chacune présente un personnage évoluant dans la cité ou hors des murs, dans une sorte de no man’s land. Des amitiés s’y nouent, des filiations se dévoilent qui finissent par tisser une communauté de destins. Peu à peu, les liens, de plus en plus fantastiques, et malheureusement parfois improbables, transforment ces récits en de véritables contes urbains… bien québécois. Qu’est-ce qui relie tous les personnages ? Je vous dirai seulement qu’on retrouve ce même type de relation perverse dans quatre-vingt pour cent des fictions québécoises… C’est dommage, mais à force d’être mis au premier plan dans notre littérature, un tel rapport douloureux, qui semble expliquer tous les maux du monde, finit par asphyxier le lecteur. Nonobstant cette réserve, le livre ne manque pas d’exercer un pouvoir d’envoûtement.