Le titre est on ne peut plus éloquent et n’est pas sans rappeler, par son caractère résolument affirmatif, le célèbre apophtegme de Nietzsche, bien que le propos soit ici d’un tout autre ordre. Sami Aoun, notamment auteur de divers ouvrages et articles sur les réalités géopolitiques, les idéologies et les conflits du Moyen-Orient, s’intéresse ici à la résurgence du religieux en Occident, et sa persistance en Orient, dans les domaines social et politique, résurgence ici mise en contexte sur le plan international, avec une attention particulière à ses résonances au Québec. À l’instar des autres sociétés occidentales, le Québec a vu son tissu social se transformer radicalement au cours des dernières décennies. Fortement homogène au moment de la Révolution tranquille, le Québec est aujourd’hui une société ethniquement et religieusement plurielle. L’arrivée d’immigrants de nationalité, de culture et de religion différentes a profondément changé le visage du Québec (à tout le moins le visage urbain). Ces changements, s’ils ont concouru à inscrire le Québec dans la modernité, ont-ils pour autant contribué à assurer une vision commune et cohérente de la société et, ce faisant, permis à chacun des groupes qui participent aujourd’hui à son développement d’y adhérer ? C’est à cette question, délicate à plus d’un égard, que s’intéresse Sami Aoun.
L’ouvrage se divise en quatre parties. La première met en contexte le débat actuel sur la place du religieux dans la sphère publique. L’auteur y brosse un survol du cadre politico-légal existant en Occident et dans le monde arabe, avant de se pencher sur quelques concepts (laïcité, spécificité culturelle) de nature à favoriser un dialogue éclairant entre les différentes cultures. Après avoir rappelé que les bases de l’islam sont avant tout rationnelles et expliqué que le refus ultérieur de la rationalité a par la suite causé l’échec de la modernité arabe, Sami Aoun rappelle l’importance de l’autocritique : « […] la culture arabo-musulmane est appelée par certains de ses propres intellectuels à développer une capacité d’autocritique pour assurer la double autonomie du politique et du religieux pour contrer la mentalité du dénigrement de l’Autre et celle du complot et de la victimisation ». Est-il ici nécessaire de préciser que cet appel vaut pour toutes les cultures.
La seconde partie explore les multiples liens entre le politique et le religieux, entre les interrelations et les influences qui s’interpénètrent. La troisième partie, par l’exploration des notions de citoyenneté, de liberté et de tolérance, examine l’état actuel du dialogue interreligieux en tentant de dégager « les possibilités de reconnaissance mutuelle et de coexistence dans l’espace public des différentes confessions ». Enfin, la quatrième partie s’intéresse de près au cas du Québec, et plus particulièrement aux efforts consentis pour favoriser la coexistence des différentes cultures religieuses, dont le nouveau cours d’éthique et de culture religieuse qui se veut une acceptation et une reconnaissance de la pluralité culturelle et confessionnelle qui définit le Québec d’aujourd’hui.
Un tel résumé est forcément réducteur de l’effort consacré par Sami Aoun en vue d’éclairer un débat trop souvent réduit à des positions aveuglément claniques et émotives. Il n’apporte pas toutes les réponses, mais tel n’était pas son but. Par contre, les questions qu’il soulève méritent qu’on s’y attarde et qu’on en discute, oserais-je dire, à visage découvert.