Ouvrage remarquable. Par sa clarté, la rigueur des termes utilisés, le retour sur l’histoire des idées, le souci pédagogique, le doigté des commentaires sur les lectures parallèles à la sienne. Même ceux qui s’attribuent une vision fouillée de l’histoire québécoise trouveront ici l’occasion de découvertes et, disons-le, motif à humilité. Le clan écossais, à titre d’exemple, reçoit son dû, au chapitre du dynamisme, qui lui vaut le contrôle de Montréal, comme à celui du refus de la démocratie. Papineau, que Reid s’abstient de porter aux nues, devient une hâtive incarnation du patriotisme civique : quiconque est enraciné dans le territoire québécois est traité en concitoyen. Durham, que l’on croit connaître sur la foi d’une unique sentence de son rapport, est relu avec rigueur et pénétration : « Il était impossible, écrit-il, qu’une race qui se sentait supérieure par l’activité et les connaissances politiques, supportât avec patience la domination d’une majorité qu’elle ne pouvait respecter. […] Je n’entretiens aucun doute sur le caractère national qui doit être donné au Bas-Canada ; ce doit être celui de l’Empire Britannique : celui de la grande race qui doit, à une époque non reculée, prédominer sur tout le continent de l’Amérique Septentrionale » (l’italique est de Reid). Et Durham se croira généreux en octroyant quelques bons mots à la race inférieure : « On peut dire que si les Français ne sont pas une race aussi civilisée, aussi énergique, aussi spéculatrice (money making) que celle qui les environne, ils sont un peuple aimable, vertueux et content ». Reid, fort de cette ample perception du célèbre rapport, fait de Durham un des premiers théoriciens de l’impérialisme britannique. « Durham, en même temps qu’il jette les bases de l’impérialisme britannique, se trouve à officialiser le nationalisme utilisé d’abord par les fonctionnaires de l’administration coloniale servant la nation britannique, puis par la suite par les gens d’affaires de l’élite marchande montréalaise. » Du coup, le Rapport Durham change non de sens, mais de portée : l’Empire méprise les Canadiens, mais aussi toutes les races qui ne parlent pas anglais. Or, c’est à ce regard que le nationalisme québécois recourra pour se percevoir. Perçu par l’autre comme une race inférieure, il essaiera de se comporter en race, puis en race capable de fierté. Vision éclairante que celle-ci.
Atout supplémentaire, Reid résume et évalue en belle sérénité les vues des principaux analystes de la situation québécoise : Fernand Dumont, Gérard Bouchard, Michel Seymour, Jocelyn Létourneau, Charles Taylor, Gilles Bourque… La conclusion, comme il convient à une démarche pédagogique, maximise en quelques pages les chances de rétention. Magnifique.