Dans son cinquième roman, Andrée A. Michaud nous plonge dans un univers fantastique qui nous laisse décontenancéss. Les deux parties du roman relatent des événements semblables survenus dans un même espace immuable, à dix ans d’intervalle. Deux narrateurs à la première personne, assumant chacun une partie du récit, nous entraînent dans leur ravissement — au sens courant d’« exaltation » – qui serait le mobile du ravissement – au sens ancien d’« enlèvement » – de deux fillettes disparues un 22 août à dix ans de distance. Le style luxuriant de la romancière envoûte le lecteur comme l’espace romanesque des Bois noirs ensorcelle les deux personnages narrateurs, subjugués par la beauté que l’un d’eux qualifiera de « catastrophique ». Il y a de cette fantasmagorie dans l’illustration de Lili Richard en page de couverture, Les soirs de délices, où une pluie de coloris éclatants fond ciel et terre. C’est d’abord dans l’environnement idyllique de la narratrice Marie, Mary ou Marnie – on ne saura pas – que surgit le surnaturel, à la faveur de la nuit ou de l’orage. Chant des ormes, sorcière sous le pommier, voix étouffées sous le plancher viennent hanter l’esprit animiste de la citadine. Le jour, elle trouve un apaisement dans les explications rationnelles qu’elle se donne de ces phénomènes qu’elle tait, même à son amant Hank, mais la rationalité s’estompe peu à peu pour laisser toute la place au délire, jusqu’à la catastrophe.
La deuxième partie opacifie le mystère. Le narrateur dont la voix et le point de vue monopolisent aussi le récit se retrouve aux Bois noirs. L’enquêteur Harry y a été dépêché pour faire la lumière sur la disparition d’une fillette, dix ans jour pour jour après la disparition non élucidée d’une fillette du même âge. Il n’est pas aussitôt arrivé que le magnétisme des Bois noirs et de la belle Élisabeth aux yeux pervenche lui font presque oublier sa mission. Il réussira tout de même à trouver les restes des deux petites victimes, non sans avoir été envahi par des voix, lui aussi. Effet ou cause de sa consommation immodérée de whisky ? Est-ce vérité, mensonge, ou fabulation qu’il livre dans son délire éthylique ? Qu’en est-il du mobile des meurtriers ? Chez le lecteur, le doute persiste. Du pur fantastique, quoi !