C’est un petit livre dense que nous offre encore Jérôme Ferrari. L’auteur du Sermon sur la chute de Rome (Goncourt 2012) retrace dans Le principe la vie du physicien allemand Werner Heisenberg, né en 1901, Nobel de physique en 1932, fondateur de la mécanique quantique et père du « principe d’incertitude ». N’ayant pas fui l’Allemagne comme tant d’autres collègues, Heisenberg sera recruté par les nazis en 1941 pour participer – malgré lui – à l’élaboration d’une bombe nucléaire. Bien sûr, ses recherches ne mèneront à rien. Mais cet épisode marquera à jamais Heisenberg qui, d’abord d’une touchante naïveté, ne verra plus en l’être humain que le rouage d’un mécanisme funeste et prédéterminé car, dira-t-il dans une conférence donnée dans une université, « même si l’homme peut faire ce qu’il veut, il ne peut pas vouloir ce qu’il veut ».
Son parcours est ici relaté par un jeune homme ayant entre autres raté un oral de fin d’année portant sur le passage d’un livre du scientifique, Physique et philosophie. Sa fascination pour Heisenberg commencera là, dans cette salle d’examen, devant la couverture repoussante d’un livre qu’il n’a jamais daigné ouvrir.
À travers la figure de l’homme de science, le narrateur réfléchit sur le mensonge, la violence, la technologie, mais aussi sur les rapports entre le langage et le monde. Heisenberg a redéfini les bases de la physique en rejetant l’idée d’une représentation, même métaphorique, des mécanismes qui régissent le monde. Notre langage serait insuffisant, voire trop barbare, pour expliquer ce qui se passe « à travers la mince surface matérielle des choses, le lieu où se dissout leur matérialité ». Ces considérations sur l’espèce de néant entre nous et le secret des choses parlent aussi de l’impossibilité, pour le narrateur, d’aller au bout de son obsession vers une connaissance parfaite et de Heisenberg et de la réalité qu’il tentait de définir.
Le seul bémol dans l’appréciation de ce livre a trait au peu de place qu’occupe le narrateur, dont on suit difficilement le cheminement de pensée et de vie. Qu’à cela ne tienne, il s’agit d’un roman intense, à la fois dans l’écriture et le propos, qui donne beaucoup de matière à cogitation.
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