Noam Chomsky n’est pas Timorais. Je n’ai pas dit Timorés, mais bien Timorais. Voilà : les habitants du pays de Pusillanimis sont les Timorés, ceux du Timor-Oriental, les Timorais. Leur pays, ancienne colonie du Portugal, a été envahi par l’Indonésie en 1975, appuyée par le gouvernement états-unien dans le silence quasi total de la communauté internationale… Noam Chomsky est l’un des intellectuels occidentaux à avoir pris position contre ce scandale. Construit à partir des notes prises pour ses conférences présentées en janvier 1995 lors de son passage en Australie à l’invite de l’Association d’aide au Timor-Oriental, Le pouvoir mis à nu, outre le fait qu’il permet de se faire une tête sur la question, propose un voyage au cœur du pragmatisme humaniste politique et philosophique du linguiste.
On se demandera : mais quelle idée saugrenue a-t-il bien pu lui passer par la tête pour se porter à la défense de quelques hurluberlus perdus à l’autre bout de la planète ? N’a-t-on pas ici notre lot de misères et d’horreurs ? Croyez-le ou non, notre homme jure que la responsabilité de l’écrivain et de l’intellectuel, « est de s’efforcer de dire la vérité sur des sujets qui importent sur le plan humain à un public qui est en mesure d’agir en conséquence »!!! Cette pensée a l’heur de froisser quelques susceptibilités. C’est que la propagation du virus de la lâcheté atteint aujourd’hui des proportions alarmantes (les statistiques du Québec à elles seules font frémir).
La question est de taille : que faire face à la barbare tyrannie du marché exercée par des dirigeants sans scrupules dans le mépris absolu des droits de la personne et de l’environnement ? Que faire devant des magnats aux politiques obscènes qui protègent la propriété privée des ploutocraties mondiales en contrôlant les banques, les territoires, les industries, l’éducation, la santé et la presse ? Que faire ? Prendre ses responsabilités, c’est-à-dire prendre la parole, partout, toujours, en toutes circonstances, qu’elles soient privées ou publiques. Car la parole s’inscrit dans l’histoire ; elle n’est pas une prémisse à l’action, elle est déjà l’action, elle est ce qui la porte, lui assure dignité. Dire et agir en vue de la paix et du mieux-être, voilà déjà un pas gigantesque. Les exemples ne manquent pas. D’ailleurs, Noam Chomsky ne reprend-il pas la tâche de quelques illustres prédécesseurs, tout aussi attachés que lui aux Lumières : Bertrand Russel, John Dewey, Eduardo Galeano, José Ramos-Horta et d’autres ? Le spécialiste de la langue fait peur pour une raison simple : il dit la vérité avec une ironie et un panache inégalables. Après les récents scandales d’Enron, de Merk, de Worldcom – mais nous savons qu’il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg -, qui pourrait récuser la « criminalité d’entreprise », qui pourrait ne pas se rendre compte à quel point les sommets économiques ne constituent qu’une mascarade organisée pour détourner l’opinion publique de la vraie guerre (celle des marchés), renforcer l’esclavage et légitimer les génocides (sida, Ebola, malnutrition volontairement maintenue, contrôle des médicaments, guerre au soi-disant terroristes et trafiquants de drogue, etc.) ? C’est pourquoi, de par son discours, mais aussi de par la position qu’il occupe, Noam Chomsky publie des ouvrages que nous nous devons de lire.