Jean-Sébastien Huot est connu comme poète. Le portrait craché de mon père, que l’éditeur présente comme un récit, doit certes encore beaucoup à la poésie. Un lien chronologique, une trame narrative, même fragiles, se profilent d’un fragment à l’autre, créant ainsi l’unité du recueil.
Différents thèmes, développés d’un bout à l’autre de l’ouvrage, en assurent aussi la cohérence et forment un lieu où convergent les divers morceaux du puzzle. Celui d’abord du visage, annoncé dès le titre. La première partie, « S’haïr la face », s’ouvre ainsi avec un face à face : « J’ai plongé mon regard dans le miroir de la pharmacie. J’avais les joues creuses, les yeux cernés. […] Je fixais mes pupilles. J’étais fasciné par ce visage. […] Je l’aimais et le haïssais ». Le visage du père, dont le narrateur n’arrive pas à se défaire et qu’il haïra aussi par le fait même, est également très souvent évoqué. Ce père, au début du récit, découpe une photo de la mère, qui les a quittés : « Des morceaux du visage de ma mère voltigent sur le carrelage. / Je scotche le sourire de ma mère sur un papier couleur ». Ce bricolage, la reconstitution du visage maternel, sert à introduire un autre thème important dans l’ouvrage, celui de l’écriture, qui est création de soi à travers les figures parentales, à partir de celles-ci. Recoller le visage, c’est l’écrire : « Je colle de petits bouts de carton sur un papier avec un pinceau trempé dans du gel acrylique. Le collage est sale. / Il s’agit d’une série de visages horrifiés […]. J’enfonce la pointe de ma plume dans la pupille. […] J’arrache la feuille de mon cahier à dessin. Je le déchire. Je jette les morceaux de papier sur le sol […]. Je scotche le papier ». Visages haïs-aimés qu’il s’agit de refaire-défaire par un travail esthétique où le narrateur plonge au cœur de lui-même, de ses souvenirs, de ses souffrances : « J’aimerais que mon écriture chemine dans le lieu de ma souffrance. Mais cette souffrance dessine-t-elle la figure de mon père ou là mienne ? » L’écriture est longue et difficile, morcelée, du moins jusqu’à ce moment, vers la fin du récit, qui la rend possible : la réconciliation entre le père, « le bourreau travesti en victime », et le fils, qui se tiennent au téléphone (sans vraiment se parler) : « ‘ Allô ! C’est ton père, je t’appelle de Nuremberg ! ‘ Ça va ? ‘ Ça va et toi, que faisais-tu ? ‘ J’écrivais… » Le travail d’écriture est en quelque sorte reconnu par la figure du père, qui n’ajoute pas ses cris et ses hurlements aux points de suspension du fils qui lui parle d’écriture. Mais la partie n’est pas gagnée pour autant, et les visages attendent toujours d’être brisés, même dans ce resto où le narrateur fait l’apprentissage de responsabilités nouvelles, comme le laisse entendre la dernière phrase du récit : « Je suis retourné en cuisine [après un service aux tables effréné, véritable « combat »] pour enlever l’œil à des tomates ». Gageons que l’auteur n’a pas fini d’écrire ces visages, n’a pas fini de les « scotch[és] », et que nous retrouverons encore ses collages, œuvres fragmentaires et poétiques, pour notre plus grand plaisir.