Philippe Delerm a écrit de fort belles pages sur le bonheur (voir à ce propos Le bonheur, Tableaux et bavardages publié chez du Rocher), rappelant à juste titre qu’il s’agit avant tout d’une prédisposition à être présent aux petites choses qui meublent notre quotidien, et sans lesquelles ce même quotidien ne revêtirait que l’enveloppe d’ennui et de banalité dont on l’affuble trop souvent. Le bonheur, pour Philippe Delerm, réside avant tout dans cette capacité de goûter chaque instant, comme il l’a si bien illustré dans La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules , dans cette volonté de freiner le fol empressement qui rythme nos journées, de capter ces instants d’éternité avant qu’ils ne s’évanouissent sous nos yeux. Il n’y a ici nulle recette, mais une invitation à s’arrêter et regarder la vie autour de soi, les enfants qui jouent dans la rue, l’être aimé dont la silhouette se découpe dans une lumière de fin de journée, l’opinel qui épouse parfaitement le creux de la main. « Harmonie » semble être le mot clé chez Delerm. Ce que le narrateur de son dernier roman résume ainsi : « Il avait toujours senti en lui à la fois cet accord avec les choses de la vie et la possibilité de prendre avec elles la distance nécessaire pour les goûter en spectateur. »
Mais qu’advient-il lorsque cet accord se brise, lorsqu’on se voit soudain en butte à cette « espèce de fragilité désagréable et vaine » qui oblige à conjuguer le bonheur au passé ? Qu’advient-il lorsque faire la queue chez le boulanger s’avère au-dessus de nos forces ? Voilà le tourment dans lequel Sébastien Sénécal, 45 ans, professeur de lettres dans un collège de province, se trouve soudainement plongé. Le propos de Philippe Delerm demeure ici le même : illustrer la fragilité du bonheur, mais sous l’angle de la perte, de l’incapacité, d’une façon qui nous fait davantage sourire que nous apitoyer sur le sort du pauvre Sébastien qui cherche à alléger le poids de ses inquiétudes existentielles.
Et le titre dans tout cela ? Je vous dirai seulement que Sébastien, en bon professeur de lettres, s’efforce de mettre en pratique la maxime de Voltaire : pour apprécier cédrats confits et pistaches, il faut cultiver son jardin. Et ne pas bouder son plaisir.