Vitaliano Trevisan n’est pas le premier à imiter le style très particulier de Thomas Bernhard. Le Hondurien d’origine Horacio Castellanos Moya avait déjà fait paraître le roman El Asco, Thomas Bernhard en San Salvador, traduit en français sous le titre Le dégoût (Les Allusifs, 2003), où, comme dans le livre de l’Italien, il offrait le monologue d’un narrateur aux penchants suicidaires, crachant son venin sur une nation corrompue. Les deux auteurs ne s’en cachent d’ailleurs pas, citant au passage le nom de l’écrivain autrichien ‘ en outre le sous-titre du Pont, Un effondrement, fait référence au dernier livre de Bernhard, sorte de testament, Extinction, Un effondrement. C’est, semble-t-il, une manière, mais peut-être un peu étrange et tordue, de mettre à distance sa propre appartenance au pays d’origine, de repousser une identité intimement liée à lui. Pourquoi Thomas Bernhard ? Pourquoi lui ? Hasard, nécessité Il est vrai, en tout cas, que la manière de cet auteur est facile à pasticher, et qu’il est difficile de s’en débarrasser quand on en a adopté les tics. À la lecture du roman de Trevisan, plus qu’à celle du Dégoût, on reste perplexe devant cette totale intégration du style : mêmes constructions de phrases, mêmes mots fétiches, mêmes pensées obsessives au point où l’on croirait parfois lire un Bernhard. Le narrateur serait-il fou ? Il écrit qu’il est malade, mentalement atteint, et le nombre de médicaments qu’il gobe pour arriver à vivre dit l’ampleur de son mal. Exilé en Allemagne, l’homme se prépare à retourner dans sa ville natale, Vicence, où a eu lieu un drame dix ans auparavant, drame qu’il a dû fuir et oublier. Comme le narrateur d’Extinction qui retourne au château de son enfance et à sa famille, à l’origine de sa maladie.
Livre dérangeant à de multiples points de vue – moral, politique, esthétique –, Le pont se lit comme une enquête sur les sentiments véritables du narrateur derrière le masque du dégoût.