Ne lésinons pas sur l’admiration, l’auteure la mérite tant et plus. L’ampleur des perspectives le dispute à la minutie des vérifications, le croisement des sources s’ajoute à l’ingéniosité de l’analyse. Non seulement Louise Dechêne cite à la barre les historiens québécois, mais elle compulse les archives, les fonds familiaux, les analyses d’autres origines. Au lieu de sourire d’une méthodologie qui doit beaucoup aux fiches et aux compilations manuelles, il convient d’apprécier la recherche qui préfère son cheminement épuisant au plongeon aventureux dans un monde techniquement différent.
Le résultat ? Une cascade de brutales remises en question. Tant pis pour la légende. Montcalm n’était pas le général perruqué ignorant tout de la guérilla autochtone. Le paysan canadien n’était pas le géant d’audace et d’aventure friand de combats et capable de tous les exploits, y compris les plus vains. Loin de se sentir menacée, la colonie canadienne crut longtemps et sans justification à sa supériorité militaire face aux colons étatsuniens. L’antagonisme entre la France distraite et la colonie héroïque n’existerait que dans l’imagination des chroniqueurs du cru. Des contributions à la sécurité de la colonie, certaines furent hypertrophiées, d’autres, celles des compagnies franches de la Marine par exemple, constamment sous-estimées. On voit la tendance. Peu d’historiens échappent aux reproches de Dechêne, pas plus Fernand Ouellet que Guy Frégault, pas plus Peter Kalm que Jacques Mathieu, pas plus Pierre-François-Xavier de Charlebois que Lionel Groulx. Plus encore que ces multiples retouches à la vérité historique, le ton adopté pour leur distribution surprend et choque. Qu’on en juge. « De la part des historiens canadiens-français qui cherchaient d’abord à démontrer que le Canada ne devait rien à la France, cela ne peut surprendre » ; « Les historiens les ont toujours confondus [partis de guerre et milices] malgré les différences évidentes » ; « Les historiens de la Nouvelle-France ne se sont guère interrogés sur la nature du gouvernement colonial ». Le procès d’intention pointe l’oreille : « On ne saurait mieux illustrer la différence entre les deux corps militaires, sensible pour les contemporains, mais que les historiens ont choisi d’ignorer ». Ces inélégances risquent fort de rendre indigeste la révision souhaitée.
Même l’auteur de l’« Avant-propos », Thomas Wien, en éprouve un malaise. « Une dernière ambiguïté pour terminer, celle émergeant de l’antipathie manifeste de l’historienne pour l’interprétation nationaliste. Pourquoi cette attitude ? Plusieurs facteurs doivent l’expliquer, y compris la profonde ambivalence avec laquelle L. Dechêne vivait sa québécité. » Ne tombons pas à notre tour dans les supputations et bornons-nous à regretter qu’une telle accumulation de données se fragilise elle-même.