En peu de pages, l’auteure impose un dépaysement radical. À tous égards. Entre notre temps et 1488, énorme fossé de cinq siècles. Entre une justice teintée de superstition et nos tribunaux truffés d’arguties, incompatibilité culturelle béante. Entre une orfèvrerie créatrice et notre frappe centralisée de la monnaie, une distance incompressible. Clô Chauvin-Tachot réussit l’exploit de rendre palpable et peut-être traumatisant un monde apparemment révolu.
Il n’est pourtant pas dit que l’espèce humaine ait évolué au fil des lustres autant qu’ont changé son mode de vie et l’étalage de ses instincts. Qui garantirait la dureté du vernis répandu sur nos comportements par la rectitude politique régnante ? Qui nous déclarerait immunisés contre les fièvres vengeresses de nos ancêtres ? Altière et hypocrite, notre époque se targue de son raffinement et se félicite des haut-le-coeur que provoque chez elle la simple évocation d’un mauvais traitement, mais peut-être la barbarie couve-t-elle toujours sous les épidermes modernes. Autrement dit, peut-être le supplice infligé à Loys Secrétain dans la ville de Tours à la fin du XVe siècle ressemble-t-il à ce dont rêvent à bouche fermée les penchants justiciers qui, aujourd’hui encore, complotent dans nos entrailles. Chose certaine, la torture que pratiquent partout sur la planète les services secrets et nombre de pénitenciers prouve que mieux vaut ne pas donner trop de latitude à la bête humaine.
Ce qui, du moins en apparence, distingue nettement 1488 de notre époque, c’est l’importance qu’avait et qu’a perdue la dimension religieuse. Le jugement de Dieu ne prouve plus grand-chose à nos yeux ; l’ordalie n’a plus cours. Si la guillotine, le poison ou le garrot ne provoque pas la mort prescrite par le tribunal, nul n’en déduit aujourd’hui que le condamné est innocent. Peut-être la peine sera-t-elle commuée, mais le coupable demeurera coupable. Baignant dans la foi, 1488 voyait plutôt dans la survie inattendue du supplicié une intervention divine balayant le verdict de culpabilité. Peut-être cette différence est-elle l’élément le plus déroutant dans la reconstitution de l’exécution ratée de Loys Secrétain.
Tandis que la recherche requise par cette reconstitution mérite l’éloge, le style suscite quelques questions. Mieux que moi, des linguistes diront si certaines expressions étonnantes avaient cours à l’époque : « les abattis recroquevillés sur sa planche… » ; « Loys est bercé comme un enfant, […] adodolé quand il souffre trop… ». On s’étonnera que saint Éloi, digne patron des orfèvres, devienne Saint-Éloi même quand il s’agit de sa personne, tout comme on s’étonnera quand l’auteure, peut-être pour alléger l’atmosphère, félicite les religieuses de ne pas économiser « leurs mots pour guérir ses maux » ou permet à Loys de retrouver « la simplicité dans la culture des simples ». Mièvreries peut-être nécessaires dans un climat étouffant.
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