Peut-on vraiment croire qu’une alliance militaire comme l’OTAN puisse s’approprier une nouvelle mission, la défense des droits de l’homme ? Doit-on comprendre alors que la guerre menée par ses États membres contre la Yougoslavie répondait à des soucis humanitaires ? Si l’on suit la représentation que se sont faits d’eux-mêmes les acteurs, puis l’interprétation qu’ils nous ont fourni des événements et, enfin, la justification rétrospective qu’ils ont opéré, on pourrait croire que la crise du Kosovo a été l’occasion de réconcilier éthique et politique. Folle illusion, nous dit Noam Chomsky. La nouvelle ère des relations internationales de l’après-guerre froide ne nous sert que du vieux vin dans de nouvelles outres : les mêmes intérêts de puissances, la même logique géopolitique au détriment des populations, le même silence sur les atrocités commises par nos amis (Turquie, Indonésie), la même arrogance.
Tout ce discours, justifiant l’aventure militaire par l’exception humanitaire, est sous la coupe de l’influence dominante américaine. État entre tous les États, les États-Unis se soustraient aux décisions politiques de l’ONU, contournent les avis du Conseil de sécurité, refusent de signer de nombreuses conventions à caractère humanitaire, bafouent les règles de traités auxquels ils adhèrent et manient les « accords » au gré de l’escalade des exigences propres à leurs activités mercenaires sur la scène internationale. Critique acerbe de la politique étrangère américaine, Chomsky développe dans cet essai polémique une argumentation très serrée sur la formulation du discours de l’OTAN, avant, pendant et après la guerre au Kosovo. Il met donc en question les buts supposés de l’intervention armée et la logique militaro-stratégique qui aiguillonna l’exploration des options diplomatiques. Largement représentés par les desiderata des ténors de la presse, les objectifs annoncés consistaient à mettre fin au « génocide » alors que les bombardements de l’OTAN eurent pour effet non pas de stopper mais d’accélérer et d’amplifier les déportations de populations et les exactions des forces serbes contre les Albanais du Kosovo. D’ailleurs, de l’initiative militaire que commandait l’arrêt de l’épuration ethnique, on passera, après la fin des hostilités, à la nécessité « d’établir la crédibilité de l’OTAN » pour justifier l’action armée. Enfin, devant le constat de l’unanimisme de la presse qui martelait sans cesse l’urgence d’intervenir au Kosovo, l’auteur nous présente une belle leçon sur une notion qui lui est chère : la fabrication du consentement dans nos sociétés, l’évidence incontestable et l’économie de démonstration qui la sous-tendent.