Lorsque je prends dans mes mains offertes Le livre des dunes, je vois, l’ornant, la tonique et attendrissante eau-forte de Mirella Aprahamian, de Beyrout. Quatre carrés : Le cœur ouvert. Quatre cavités par lesquelles j’entre, guidé par la voix sahélienne, dans le souffle très hautement poétique de ces textes d’étoiles brèves.
D’abord, « Le ventre de Noun ». D’erg en erg, j’entends les flots de l’océan primordial de la mythologie égyptienne, lieu de surgissement de l’œuf, peut-être bien de la compassion. C’est alors qu’une femme, « plongée au centre de la terre », allégorique, énonce calmement, avec une humilité radieuse, la multiplicité de son exil, la résistance qui la tenaille et la conduit à traverser un enfer dantesque. Car le fond du monde est le sien. Cette femme émigre, dérive et… refuse. La voici donc à un carrefour : Hécate, à l’ombre de qui elle avait amorcé Entre les fleuves (1991), revient perpétuer la lumière.
Plus d’amour encore devient nécessaire : « Soleil de Grenade et Sourire de Lune ». Au départ de ce second poème, on dirait le désespoir. Très vite, l’amour, la vie et les astres, énergies du corps en braises, venues d’aussi loin que la mort, appellent : « Croyez au bonheur / au mouvement du bonheur / et de la souffrance / de la tragédie ou de l’absurde. » Que de beauté violente, que de suave richesse !
Puis vient « Le nom d’Agar », cueillant l’absence, la douleur, ses cris : l’impossession. Deux vers : « Il m’est difficile d’être arabe / ou de porter une image en mon nom », provoquent le labeur accompli dignement par la poète. Elle chante : « Je n’arrive plus… », « Il m’est difficile… », « Je ne saurais… », « Je n’ai que… », formules qui reviennent toutes à revenir au doute. Arabe… un mot qui résonne comme les sabots d’un cheval claquant dans la mollesse du sable friable, comme le nom de l’esclave d’Abraham. Le fouet de l’air et des nuées.
À traverser ce recueil, à le retraverser, à le parcourir en tous les sens, on découvre peu à peu sa véritable dimension d’espérance, sa conviction profonde qu’au-delà des cultures, rivée à elles, résonnera toujours la voix de l’éternité, de l’humain. C’est pourquoi, en définitive, « [s]eul le chant triomphe / un – je t’aime – / a capella ». Nous pouvons ensuite gravir les ondes du poème de clôture, « Sinaï », pour recevoir, bercés par la Passion selon saint Matthieu , « le timbre de la liberté ». Être arabe, peut-être cela signifie-t-il pour la poète surgir des interstices où son nom retrouve son image.