Les Aztèques appelaient leur ville, construite sur les eaux d’un lac immense, Tenochtitlán. Puis les Espagnols s’y sont installés, sur les traces du conquistador Hernan Cortés, et México, du nom d’une autre nation indienne, les Mexicas, est devenue la capitale de la Nouvelle-Espagne. Aujourd’hui asséché, le lac a disparu, les colonisateurs ont déguerpi depuis longtemps, et la mégapole compte 20 millions d’habitants. Une ville monstrueuse et tentaculaire, menacée par le couple de volcans un peu plus à l’est, une ville qui, au fil des siècles, a affronté tous les fléaux naturels ou provoqués par les humains : inondations, épidémies, incendies, surpopulation, tremblements de terre, pollution atmosphérique, criminalité, corruption. Un merdier que Pablo Urbina ne veut surtout pas quitter.
« Pourquoi rester ? J’ignore les raisons des autres. La mienne n’est guère originale : je ne saurais vivre ailleurs. [ ] Je connais cette ville qui repart chaque jour de zéro, confite dans sa propre contingence, où il ne faut rien considérer comme décisif si l’on veut s’en sortir. Je connais ses pragmatismes cyniques et ses sous-entendus quand elle me parle inlassablement de ses désirs, de ses progrès, de ses rêves, de ses attentes qui ne sont que mensonges. Les paroles, ici, ont valeur d’actes ; ce sont les escarmouches de notre guerre civile de l’indolence, où le premier qui se fâche a perdu. Et les perdants doivent partir. »
À travers ses errances de chômeur diplômé abandonné par sa femme et ses rapports avec ses deux meilleurs amis – Paula, qui part mais revient, et David, qui veut partir mais ne bouge pas -, Urbina tisse une toile qui emmêle adroitement sa propre histoire et celle de Mexico. Divisé en quatre parties liées aux éléments – le tremblement de terre de 1985, l’inondation de 1629, la pollution de l’air, et l’incendie de 1734 -, Le naufragé du Zócalo raconte une histoire d’amour à la fois cynique et tendre, lucide et indomptable : celle que le narrateur entretient pour cette ville où « la seule victoire, c’est s’y réveiller ». Celle sans doute que Fabrizio Mejía Madrid, journaliste à La Jornada et ancien directeur de la Culture de Mexico, ressent lui-même pour cette fabuleuse créature urbaine où il est né à la fin des années 1960. Un roman tout à fait captivant et fort bien traduit par Gabriel Iaculli.