Nous faisions écho, dans le numéro 105, hiver 2006-2007, du lancement de la collection « Les mythes revisités » avec la publication simultanée des trois premiers titres. L’objectif de l’instigateur : d’ici 2038, confier à cent écrivains réputés la réécriture d’un grand mythe universel de leur choix selon leur vision propre. Le quatrième titre, Le mythe de Meng, est l’œuvre du Chinois Su Tong, célèbre notamment pour son roman Épouses et concubines qu’il a lui-même adapté pour le cinéma.
Les titres précédents puisaient parmi les mythes les plus connus d’Occident, soit l’histoire de Pénélope, indissociable de celle d’Ulysse, ou encore celle du Minautore. Le mythe de Meng réfère quant à lui à une légende inconnue dans la civilisation gréco-latine, sauf des sinologues. Le lecteur d’ici ne peut ainsi mesurer la distance entre la vision de Su Tong et celle de la légende d’origine, « Meng Jiangnü, la pleureuse ». On dit que l’histoire est encore très vivace en Chine, qu’elle survit dans des chansons appartenant au patrimoine culturel. Un temple érigé il y a des siècles en l’honneur de l’héroïne attire les visiteurs de la Grande Muraille. Car cette histoire est liée à la construction du célèbre mur qui a coûté d’innombrables souffrances non seulement aux forçats qui y ont laissé leur vie, mais aussi à tous les leurs.
Du mythe antique, la Toile donne un bref résumé. La légende remonte au IIIe siècle avant Jésus-Christ, sous le règne de l’empereur tyrannique Shi Huangdi, le premier de la dynastie Qin. La trame reste la même dans le mythe revisité par Su Tong : une jeune épousée voit sa vie bouleversée. À peine trois jours après son mariage, son mari disparaît, emmené de force pour travailler à la Grande Muraille. Elle part à sa recherche, même si tous l’en dissuadent, jugeant l’entreprise folle. Ne sait-elle pas que la montagne est à mille lis de son village, que le travail y est si dur que personne n’en revient ? Qu’à cela ne tienne, la jeune femme est déterminée à aller porter des vêtements chauds à son mari, car l’hiver approche. À chaque étape qu’elle franchit pendant des jours et des jours de marche, dans des conditions hasardeuses, faisant des rencontres redoutables, elle se retrouve au cœur de la tourmente, sans que l’idée d’abandonner l’effleure.
Le récit de Su Tong raconte aussi cette longue quête, dont nous taisons ici l’issue. L’œuvre nous tient sous le charme. À l’action principale se greffent des aventures appartenant à un creuset culturel d’une richesse inouïe, où se côtoient le réel d’un règne tyrannique et une touchante histoire d’amour qui, par certains traits, fait penser à Tristan et Iseut. Fidèle au genre, Le mythe de Meng fait largement appel au merveilleux, à l’anthropomorphisme et à force symboles.