L’essai de Maurice Lemire s’inscrit dans le prolongement de l’ouvrage Formation de l’imaginaire littéraire au Québec (1764-1867), paru en 1993. L’auteur avait alors montré comment les premiers écrivains « canadiens » (le terme désigne les francophones établis sur le continent américain dès le début du XVIIe siècle) s’étaient constitué un imaginaire littéraire déterminé à la fois par des références à la culture populaire et par une tradition littéraire européenne.
La dizaine de textes rassemblés ici ont comme point commun de chercher à éclairer les rapports entre la réalité et l’imaginaire qu’elle nourrit. Privé de mythe ou de texte fondateur, l’imaginaire canadien s’est longtemps développé sans donner naissance à une littérature. Les relations de voyage de Champlain, par exemple, sont celles d’un géographe et navigateur. Plus tard, ce sont les contes et légendes ainsi que les récits des voyageurs en provenance des Pays-d’en-Haut qui vont former la matière première d’une littérature naissante.
Toutefois, l’élite lettrée comprend rapidement l’intérêt d’élaborer un discours visant à affermir son pouvoir. Ainsi va naître le mythe du peuple francophone et catholique d’Amérique, vertueux et besogneux. Dans les faits, la prégnance d’un imaginaire populaire témoigne d’un refus plus ou moins assumé de cette idéologie répressive, mais aussi d’une conscience aiguë des difficultés rencontrées dans la vie quotidienne. En effet, l’industrialisation du nord-est des États-Unis attire un grand nombre de Canadiens fuyant la pauvreté ou cherchant l’aventure. Le mythe de l’Amérique, c’est la découverte d’un espace immense mais aussi celle d’une existence possible au-delà des frontières imposées par une élite conservatrice.