Réédition des trois recueils que l’auteure a publiés aux Écrits des Forges, ce livre fait résonner une des voix les plus puissantes et les plus émouvantes de la poésie québécoise.
Un « nous » s’élève dès les premières lignes de Montréal brûle-t-elle ?, paru aux Forges en 1987. Nous fatigués, nous qui rêvons, espérons, cherchons la lumière au-delà du cauchemar que renvoient la course du monde, l’insensibilité, l’injustice. Chaque vers est un regard posé sur nous-mêmes, des yeux qui éclairent la beauté dans ce qui est sale. Dans les poèmes, l’histoire se déroule en simultané : ce soir et pendant. Il y a un moment de communion, dans l’extrême solitude ; l’espérance de se coller les uns contre les autres et celle d’être plus forts, d’avoir moins froid, moins peur. Et pendant ce temps, la vie multiplie ses visages et file, implacable et assoiffée. Hélène Monette a le ton moqueur, mais pas moins en colère. Elle critique sans pitié une vision marchande du monde, à travers une poésie encore actuelle plus de trente ans après sa sortie.
Lettres insolites, le second recueil, dont la première publication remonte à 1990, porte davantage un état d’urgence. À travers une série d’adresses à un « tu » tantôt amoureux, tantôt anonyme, tantôt adresse directe à la lectrice, le désir d’exposer rage, colère, besoin d’amour, transpire. Le tracé est plus ambigu : on est dans la fin d’un rapport amoureux, puis on est à l’usine, on est dans une ville assiégée, on est témoin avec la poète de l’absence de liens, du vide dans les cœurs, du désir de combler les manques. La dernière section de ce livre, « Archives », est particulièrement poignante et prend des allures de règlement de compte.
Dans Le diable est aux vaches, à l’origine spectacle littéraire et publié en 1992, la voix tutoie sans gêne, elle n’a plus rien à perdre. Le regard de la poète, déjà allumé, déjà tellement sensible, gagne en lucidité. La poésie de Monette est criante de vérité, ne cesse de se révolter. C’est une grande force vive qui émane de ces textes. Vivre à tout prix, même tout croche, même bafouée, vivre, rester debout, aimer et hurler.
Ces premiers recueils d’Hélène Monette étonnent par la force et la beauté de leur langue, de leurs images. Le quotidien et l’oralité se mêlent aux images douces, aux collages, à une certaine fantaisie, pour former une voix claire. Par leur rythme, leur charge, par la densité et l’ampleur de ce qu’ils disent, un désir d’embrasser le monde, de rejeter tout ce qui la dégoûte, tout ça sans vulgarité, avec une maîtrise de la langue, de l’émotion, avec beaucoup d’amour, les poèmes habitent la lectrice et le lecteur. Les mots sont chargés, incisifs, mais aussi tellement frêles et tremblants. Monette ne se place ni au-dessus ni en retrait du monde, mais les deux pieds dedans, parmi le monde ordinaire, les survivantes, parmi celles et ceux à qui l’on ne pense pas, de qui l’on ne parle pas.
Ce sont souvent les mêmes mots qu’on lit au sujet de la poésie d’Hélène Monette : ironie, humour, tendresse, portrait social critique, colère. Force est de constater qu’il n’y a rien à ajouter, sinon que la voix de Monette me hante, qu’elle donne la force de lutter, de continuer à essayer de vivre mieux, seuls et ensemble.