On dit parfois de certains livres qu’ils se lisent d’un trait. Celui-ci, du journaliste et romancier Éric Fottorino, se lit davantage selon moi par petites touches, le temps de mieux s’imprégner des portraits intimistes que fait l’auteur de ses pérégrinations à Fès, ville impériale du Maroc qui a plus d’un millénaire dans le corps.
Éric Fottorino y part en quête de son père biologique, un Juif fassi (c’est-à-dire de Fès) dont il cherche à retracer la jeunesse parmi les vieilles pierres de la ville et de son quartier juif, le mellah.
J’ai pu moi aussi entreprendre un tel pèlerinage à Fès, avec mon épouse qui a passé toute sa jeunesse dans la vieille ville, à l’ombre d’un père pieux musulman marchand de chaussures. Un endroit qu’on ne peut oublier, tant les habitudes d’aujourd’hui semblent mimer les façons de vivre d’antan : on y croise encore des ânes faisant le transport des marchandises, comme il y a des siècles.
Grâce au livre de Fottorino, j’ai pu revivre ces nombreuses traversées de la ville, m’émouvoir de nouveau comme lui de la disparation quasi complète de la communauté juive, qui a tant contribué à sa renommée intellectuelle (cette communauté ne compte plus aujourd’hui que 500 personnes, en général âgées, alors qu’elles étaient jadis 20 000).
En marchant longuement dans Fès, en rencontrant de vieilles connaissances de son père biologique avec qui il a engagé des liens à l’âge adulte, Fottorino cherche à découvrir la ville pour mieux connaître cet homme : « Maintenant il me faut Fès. Connaître Fès. Je ne serai pas vraiment ton fils si mes yeux ne voient pas ce que tu as vu en premier ». Comme l’indique cette citation, l’auteur s’adresse à son père, et lui rappelle, au gré de ses promenades, de ses rencontres, la jeunesse qui fut probablement la sienne.
Éric Fottorino voit la vie qu’il aurait pu avoir si sa mère et sa famille française n’avaient pas rejeté ce père biologique, car Juif. Son témoignage documente bien ce que fut le destin des Juifs en Afrique du Nord avant que leur contribution à la ville de Fès ne sombre dans un profond oubli.